Histoires de nos vies

Histoires de nos vies (et le choix de raconter nos propres histoires). Un entretien avec The NEST par OurSpaceIsLove & Q-zine

Q: Parlez-nous de The NEST, qui sont les personnes qui le constituent et de quand date sa création.

The NEST est une communauté d’artistes et de publics intéressés par une pensée alternative, mais aussi un collectif de production musicale, cinématographique et théâtrale. Il existait en tant qu’espace virtuel bien avant que nous ayons des bureaux à la fin 2012 (nous avons eu 2 ans cette année!), cofondé par George Gachara (producteur exécutif de films) et Jim Chuchu (réalisateur de films). Le noyau de l’équipe de production comprend 10 créatifs pluridisciplinaires.

Q: Cela change de voir que des Kenyans produisent ce film – mais aussi qu’il s’agit de votre propre communauté queer avec le soutien financier d’une fondation africaine, tellement de premières… Parlez- nous du choix de représenter votre propre communauté sous cet angle. Pourquoi maintenant? Pourquoi ce film?

Nous considérons ce film comme un travail créatif qui vise à s’opposer aux sentiments anti-homosexuels généralisés qui remplissent les media mainstream. Ces histoires – où les individus LGBTIQ sont diabolisés, victimisés ou réduits à des initiales qui représentent “les populations clés” dans les rapports d’ONG – sont incroyablement déshumanisantes. Une tactique très communément répandue est de présenter les problèmes LGBTIQ comme “importés de l’Occident”, alors que toutes nos expériences vécues et tout ce que nous avons appris dans notre projet de documentation réfutent cette idée. Les personnes LGBTIQ africaines – plus particulièrement kenyanes dans Histoires de nos vies – naissent, vivent, aiment et existent dans les mêmes espaces que tous les autres africains et kenyans.

Nous voulions parler des histoires queer au Kenya qui sont rarement entendues et souvent ignorées. Nous étions aussi conscients que les rassembler et les diffuser par des africains, pour des africains, était essentiel. Après avoir archivé plus de 250 histoires individuelles venant de villes ou de villages partout au Kenya, développé des scripts, et produit plusieurs courts-métrages, nous avions un film. Nous avons eu un chaleureux succès à la première mondiale lors du Festival de Film International de Toronto, et nous avons présenté le film au Kenya lors d’une évaluation formelle pour valider sa diffusion. Le Comité national d’évaluation des films l’a classé comme “interdit”, interdisant donc sa diffusion publique ou privée, sa vente ou sa distribution dans sa forme actuelle au Kenya.

Depuis, des questions sur les limites imposées à la liberté d’expression et de conscience ont été soulevées, notamment par le fait que le mandat du Comité est de “sauvegarder les normes et valeurs nationales”, mais celui du Ministère des Sports, de la Culture et des Arts est de “contribuer au développement national à travers la promotion et l’exploitation de la culture diverse du Kenya pour une coexistence pacifique.” Ces deux mandats paraissent en désaccord. Récemment, le Département des services cinématographiques ont lancé des procédures judiciaires contre nous pour avoir tourné le film sans autorisation.

Parallèlement, nous travaillons sur d’autres créations à partir de ce projet – nous avons rassemblé énormément d’histoires fascinantes, et les 5 court-métrages qui constituent le film n’en reprennent que quelques-unes. Nous sommes incroyablement reconnaissants envers OSIEA, qui a soutenu la collecte et l’archivage de l’histoire originale, et UHAI-EASHRI qui a supporté la production du film, qui a cru en nous et qui a été fondamental dans cette aventure.

Q: Comment avez-vous choisi les histoires à inclure dans le film? Comment cela a influencé la mise en scène? Quel a été le choix de montage en général?

Les histoires qui se sont retrouvées dans le film étaient tout simplement super, incroyablement visuelles quand on nous les a racontées, donc leur évolution en film s’est faite naturellement. Nous avons tourné chaque film quand le script était prêt, et nous étions au montage et à la post-production de certaines histoires quand nous en tournions d’autres. L’écriture et le tournage étant réalisés simultanément, nous étions influencés par des évènements actuels liés à l’expérience queer tout au long du processus – comme ce qu’il se passait dans les pays voisins que sont l’Ouganda et le Nigéria.

Q: Le thème de la publication visent à aborder le sujet de l’amour en tant que pratique révolutionnaire – qu’est-ce que le terme “amour révolutionnaire” signifie pour vous (s’il signifie quelque chose)?

Quel beau sujet pour une publication! J’imagine que pour nous un amour révolutionnaire est un amour bouge-toi-et-fais-quelque chose. L’amour qui rend un peu plus simple le changement des mentalités dans ce qui nous réprime. L’amour qui nous rend plus courageux et plus forts et nous poussent plus près de la vérité. L’amour qui nous aide à voir que les gens sont tous égaux, derrière toutes les politiques et le bruit.

Q: Que souhaitez-vous que l’on retienne de votre film?

En tant que collectif The NEST, nous pensons que les kenyans et les africains – comme tous les êtres humains – ont des identités, des histoires et des aspirations multiples et complexes. Nous pensons qu’il est important de représenter ces complexités pour défier les mouvements anti-intellectuels, anti-minorités, extrémistes religieux, simplistes, puritains, révisionnistes et conformistes qui balayent notre pays et notre continent.

Donc – pour nous – ce film est un moyen de se battre ouvertement pour le droit des africains d’avoir différentes opinions, différentes visions du monde, différentes identités et rêves – et pour que toutes ces identités multiples coexistent. Nous avons réalisé ce film parce que nous croyons fermement que le combat pour le droit de choisir son identité, le droit d’être complexe et différent et unique, devrait être défendu fièrement et ouvertement.

Q: Quelle est la suite pour The NEST?

Nous travaillons actuellement sur “Visa”, qui est un projet de recherche explorant les relations complexes qu’ont les africains avec le visa, ce que les africains doivent être, faire et prouver pour obtenir des visas, et ce que les différents visas signifient pour différentes personnes. Nous sommes super contents de travailler là-dessus! Nous sommes également en train de nous engager sur un travail de design et nous auditionnons pour un film sur la mode.