Lycinaïs Jean ou quand le Zouk fait son coming out !

par HomoSenegalensis. Photos de Meggy Theresin

Comme beaucoup de personnes, je suis une grande passionnée de musique et j’essaye autant que possible de diversifier mes genres. Récemment, j’ai eu à renouer avec ce bon vieux Zouk. Le Zouk, courant musical originaire des Antilles, est populaire dans de nombreux pays d’Afrique francophone. S’il se différencie de par ses mélodies rythmées et ensoleillées qui vous feront croire en l’amour pur et éternel, le Zouk a tout de même une chose en commun avec la plupart des genres musicaux : une vision plutôt hétéronormée du monde et de l’amour.

Quelle ne fut donc pas ma surprise quand, il y a quelque mois, je tombais sur Lycinaïs Jean. Auteure, compositeure, une voix à couper le souffle et un style vestimentaire qui, pour la femme queer que je suis, ne m’aurait paru inhabituel si ce n’était pour le genre musical à travers lequel je découvrais la jeune artiste : le Zouk !

De son androgynie apparente à ses créations audiovisuelles, tout à propos de cette
jeune artiste d’origine Martiniquaise et Guadeloupéenne crie « j’aime les femmes et je m’assume ». Si vous ne me croyez pas, écoutez donc Mwen enmé w, le titre sorti en 2015 à travers lequel Lycinaïs Jean fait une sorte de coming out officiel, une première dans cet univers où l’amour a pour habitude de n’être célébré qu’entre hommes et femmes.

Ma curiosité ayant été éveillée, je me décidai donc d’explorer un peu plus ce talent hors du commun. Issue d’une famille de musiciens, Lycinaïs Jean développe très tôt sa passion pour la musique. Elle se fait repérer à travers sa chaîne YouTube, LYCINAÏS JEAN TV, grâce à ses
reprises de morceaux populaires. Sa carrière prend un bond en 2014, avec la sortie de son single, Aimer, qui séduit immédiatement le public. Comment leur en vouloir ? L’amour fait rêver, dit-on, et le talent de la jeune femme est comme hypnotisant. Mais c’est en 2015 que l‘artiste se démarque vraiment avec son titre Mwen enmé w. Dans un souci de rester fidèle à elle-même, Lycinaïs Jean fait usage des plus belles mélodies et des mots les plus passionnés pour reconquérir non pas un homme, mais une femme.

Plus tard, elle sort un autre titre, Sex Therapy, qui pourrait paraitre encore plus téméraire que le précédent. À la sortie de son plus récent single, Entre Nous, en fin 2016,le talent et l’authenticité de la jeune femme ne sont plus à prouver. Écouter une chanson est une chose. Pouvoir y associer une image et s’y retrouver est une toute autre expérience. Le fait que Lycinaïs Jean soit talentueuse est indéniable.

Mais ce qui fait toute la différence et rend son travail encore plus intéressant, c’est l’authenticité et le courage qui émanent de ses productions. Permettez-moi donc de partager mes impressions.

Pour commencer, j’ai trouvé que les marques d’affection dans ses clips étaient plutôt modérées, presque pudiques. Même dans Sex Therapy, titre dans lequel Lycinaïs Jean évoque l’amour physique entre deux femmes, les scènes restent sensuelles sans jamais être sexuelles. Toujours, ce message d’amour, de sensualité et de passion.

Serait-ce là une adaptation au public et aux conditions sociales ? Une manière de ne pas trop en faire ? De mettre l’accent sur le message d’amour et non sur l’aspect physique d’une relation entre deux femmes ? Ou ses clips reflètent-ils tout simplement la personnalité même de l’artiste ? Quelle que soit la raison, il faut avouer que ça change un peu de pouvoir se voir et s’entendre dans des productions musicales
contemporaines.

La dernière scène d’Entre Nous est de loin ma préférée. Le clip se termine alors que les deux femmes finissent par se retrouver et se prennent dans les bras pour s’embrasser. Ce geste entraine une réaction plutôt comique de la part d’un passant. Hélas je ne maitrise point le Créole, mais il semblerait que l’agitation désapprobatrice du jeune homme soit causée par l’amour homosexuel s’exposant ainsi à lui. On peut en effet
l’entendre répéter à plusieurs reprises « mariage pour tous » d’un air offusqué. Mariage peut-être pas, mais on ne dirait pas non à l’amour pour tous ! Passer en revue les commentaires à propos des clips de l’artiste permet d’évaluer quelque peu les réactions des internautes. Le nombre de commentaires à caractère « j’suis pas homo mais… » est assez intéressant. Outre quelques réflexions homophobes et certains reproches à propos des retouches sonores sur la voix de l’artiste, dans l’ensemble, les remarques étaient plutôt positives et encourageantes.

Dans le monde de la musique, des artistes fièrement et ouvertement queer ne courent pas les rues, et pour cause. Les critiques ont vite fait de crier à « la-promotion- de-l-homosexualité-et- à-la- dégradation-des- mœurs ». Mais l’artiste se défend bien des observations qui laisseraient sous-entendre que son travail aurait pour but de « promouvoir l’homosexualité », argument préféré des homophobes contre la
représentation des personnes queer dans les media et partout ailleurs, d’ailleurs. En effet, l’artiste rappelle sur Facebook que ses chansons n’ont pas pour but de promouvoir une orientation sexuelle quelconque, mais plutôt de parler d’amour et de passion, tout en restant fidèle à sa personne.

J’ai trouvé ce message particulièrement important non seulement du fait de l’importance de rester soi-même en tant qu’artiste queer, mais aussi parce que ce genre de représentation médiatique est un argument solide contre la rhétorique homophobe qui voudrait que les relations queer soient purement sexuelles et incapables d’amour ou de tout autre sentiment profond.

Bien entendu, nul ne peut nier le fait qu’il y a un certain privilège à pouvoir « illustrer sa réalité » et être soi-même de façon si publique. À travers le monde, le nombre de personnes queer qui peuvent jouir d’un tel privilège sont encore dans la minorité. Cependant, pour les artistes comme Lycinaïs Jean qui veulent et sont en mesure de le faire, le geste (tout comme la musique !) est grandement apprécié.