Tu n’es pas seul

Un entretien entre Antoine B. Craigwell et Cases Rebelles.

 En 2012 Antoine B. Craigwell produit le documentaire «You are not Alone», focus et cri d’alerte sur la détresse psychologique chez les hommes noirs gays. Autour de témoignages forts d’hommes en dépression ou ayant été en dépression, et d’interviews de spécialistes de la santé mentale, le film énonce une souffrance endurée en silence, invisibilisée dans les familles, dans les communautés gay, et l’engrenage qui peut conduire à des comportements à risque (drogues, sexualité non protégée) voire au suicide.

Il y a urgence, dit le documentaire, à parler, briser les solitudes, à s’apporter de l’amour à soi et en partager avec les siens, à combattre l’homophobie et toutes les violences qu’elle provoque. Guyanien, vivant à présent à New York, journaliste, Antoine B. Craigwell est également président et CEO de l’organisation DBGM (Depressed Black Gay Men/ Hommes noirs gays en dépression) qui mène quotidiennement un travail essentiel de soutien et de prévention auprès d’hommes de tous âges et de leurs proches, et spécifiquement des mères.

Voici l’interview d’un militant déterminé, dans laquelle il revient sur la genèse du projet « You are Not Alone », les activités de DBGM et son activisme en lien avec le Guyana.

 

Où es-tu né, où as-tu grandi ?

Je suis né à la Nouvelle-Amsterdam, dans le comté de Berbice au Guyana. Autrefois ça faisait partie des colonies Hollandaises. Et le pays où je suis né en est le lieu de l’une des plus célèbre révolte d’esclaves noirs, en 1763, menée par un esclave du nom de Kofi (Cufy ). Selon les historiens, Kofi a renversé un grand nombre de plantations de propriétaires blancs, de propriétaires Hollandais. A ce moment-à, en 1763, le comté de Berbice avait été donné aux Britanniques. Donc, il a renversé un grand nombre de propriétaires de plantations blancs et a tenu un grand nombre de plantations ensemble qui ont survécu comme commune, comme une coopérative, comme les villages plus de 2 ou 3 ans avant que les Britanniques aient pu envoyer des renforts, et il a été trahi par un autre esclave, ce qui a permis aux Britanniques de capturer et de le tuer. C’est un peu de l’histoire du comté où je suis né.

Je suis venu aux États-Unis à l’âge adulte. J’ai vécu la plupart de ma vie au Guyana.

Comment t’es venue l’idée du film?

A l’origine je suis journaliste, c’est ma spécialité; mais j’en suis venue à l’idée de faire un livre sur les hommes gays noirs dépressifs après avoir entendu des récits d’autres hommes gays noirs à propos d’où où ils en étaient dans leur vie et comment ils se sentaient dans une impasse et incapable d’avancer – sans trop savoir pourquoi ils ne pouvaient pas aller de l’avant avec leur vie. Après avoir entendu ces histoires et avoir fait quelques recherches en psychologie – parce que j’ai un double diplôme en journalisme et en psychologie – j’ai réalisé qu’au-delà des apparences beaucoup de ces hommes faisaient en réalité à la dépression. Et quand j’ai commencé à enquêter et poser des questions, certains d’entre eux savaient qu’ils étaient en dépression et avaient été voir des thérapeutes, d’autres savaient qu’ils avaient été en dépression et avaient vu des thérapeutes mais n’en voyaient plus, et d’autres encore n’étaient pas conscients du fait d’être en dépression alors que leurs comportements, leurs attitudes, leurs actions le reflétaient.
Donc j’ai commencé à faire un livre, pour lequel j’essaie encore de trouver un éditeur – ou un agent pour m’aider à trouver un éditeur – et j’ai interviewé 40 hommes gays noirs aux Etats-Unis, dans les Caraïbes et en Afrique, et des professionnels de la santé mentale, et des chefs religieux comprenant des chrétiens et des musulmans. Et parce que je ne pouvais pas trouver un éditeur j’ai décidé que, puisque les gens sont plus sensibles aux images, que je devrais faire un documentaire. J’ai donc demandé à certains des gars que j’ai interviewés pour le livre s’ils seraient prêts à s’asseoir en face d’une caméra et à raconter

leurs histoires, ils ont dit, «Oui, certainement ». Nous avons donc décidé de filmer beaucoup d’entrevues, puis nous avons embauché un réalisateur qui a écrit un script basé sur les interviews, et il s’est occupé du casting et les décors et de toutes les sortes de choses, et nous avons reconstitué certaines des histoires qui ont été racontées dans les interviews.

Il faut revenir en arrière et regarder les facteurs psycho-sociaux ou socio-économiques ou socio-culturels sous-jacents dans la vie d’une personne pour comprendre ce qui se passe, ce qui a contribué à leur descente dans la dépression. Et la dépression n’est qu’à deux pas du suicide. Donc l’objectif ultime est de prévenir à tout prix le suicide chez les gays noirs.

Du livre au moins cinq thèmes ont émergé: l’un était l’identité sexuelle et l’orientation sexuelle et le genre ; ensuite la violence sexuelle et le traumatisme ; le troisième était le VIH et la lutte contre le VIH ; le quatrième était l’effet de la religion sur la sexualité de quelqu’un ; et l’homophobie et l’intolérance que la bigoterie cause et pousse quelqu’un à la dépression ; et, cinquièmement ce que c’était que pour quelqu’un qui vieilli, confronté aux jeunes et à une société focalisée sur la jeunesse, et qui fait face la solitude et à l’abandon et aux questions de santé et de réduction des revenus, à un réseau social réduit ainsi qu’à un possible isolement familial.

Un point important est que le film parle de et s’adresse à différentes générations…

Nous parlons toujours de la génération suivante, depuis des temps immémoriaux on regarde la génération suivante comme des gens qui ne savent rien, et en fin de compte les générations avant nous pensaient probablement la même chose de nous, et le pensent probablement toujours. Ce qui est important je pense pour la jeune génération à comprendre est que s’ils vivent longtemps ce sont certaines des questions auxquelles ils seront confrontés à mesure qu’ils vieilliront, et pour ceux qui ne sont pas aussi vieux, ce sont aussi quelques questions qui viendront vite et aux quelles ils auront à faire face, à répondre.

Notre message vraiment pour la jeune génération est simple : si vous sentez que vous traversez certains problèmes et vous avez des problèmes auxquels vous à faire face, ne pas les garder pour vous, parlez-en à quelqu’un, trouvez quelqu’un en qui vous avez confiance et parler lui, parce que une personne plus jeune peut se rendre compte qu’elle n’est pas seule, qu’elle n’est pas la seule personne qui connaît cela. Nous pensons toujours que nous sommes les seuls sur terre à vivre ça, à traverser ça et on se dit toujours que personne ne peut comprendre ce par quoi nous passons, mais en réalité nous découvrirons si nous en parlons c’est que beaucoup de gens autour de nous ont vécu des choses similaires, et c’est ce le film cherche à montrer.

Comment les hommes interrogés ont reçu le film?

Ils étaient tous très heureux, ils étaient contents de la manière dont ça s’est fait, ils se sont sentis très fiers lors de la première en novembre 2013 ici à New York à l’occasion d’un gala de mon organisation.
Un des gars que vous avez vu est mort avant que le film ait pu être terminé, il est mort en juin 2011, il a été interviewé à peu près en janvier 2011 et il est mort en juin, alors il n’a pas eu la chance de voir le film.

Quelle est l’histoire de DBGM ?

DBGM a été fondé dans le prolongement du travail de sensibilisation à la dépression chez les hommes noirs, ça faisait partie du processus. Pour ce qui est de cette année l’organisation est sur le point de lancer deux nouveaux programmes ici à New York: l’un est un groupe de soutien pour les mères dont les fils se sont suicidés, et l’autre est un groupe de soutien pour les jeunes hommes homosexuels noirs que leur mères n’ont pas acceptés tels qu’ils sont. L’ une des choses que nous avons découvert, non seulement pendant la recherche pour le documentaire ou pour le livre ou les interviews, c’est que nos mères sont un catalyseur, nos mères sont celles qui nous aident, qui aident nos hommes à former leur masculinité et plus important de leur identité sexuelle. Donc nous nous concentrons maintenant sur ​​les mères. À les aider à se remettre, de sorte qu’elles ne sentent pas qu’elles doivent être blâmées, pas digne d’être mères, afin qu’elles puissent surmonter ça et rassembler leur famille à nouveau ; et qu’elles soient en mesure de toucher d’autres mères qui peuvent avoir des fils gays mais ne les acceptent pas.

Quels sont vos liens avec des organisations des Caraïbes?

Je suis connecté à SASOD qui est l’organisation au Guyana. Le film a été projeté dans le cadre du festival du film de SASOD à Georgetown en juin dernier et en août il a fait partie d’un ensemble de films que le gouvernement du Guyana a soumis à Carifest qui s’est tenu au Surinam. Carifest est un festival des arts des Caraïbes.
Je suis connecté à un certain nombre de différentes organisations des Caraïbes ici aux États-Unis ; juste vendredi soir dernier, avec l’Alliance des Caraïbes égalité, qui est une organisation à Philadelphie, nous avons eu une projection du documentaire.

Comment le film a été reçu en Guyane?

Il a été très bien reçu. J’étais sur Skype pour le débat à la projection et il y avait un certain nombre de personnes qui y ont assisté – un évêque catholique de Georgetown a également assisté à la projection et vu le film. Et après le film alors que je skypais dans je pouvais entendre ce qu’il disait et ses réponses aux questions du public, et après le débat lui et moi avons eu une conversation via Skype, et je lui ai demandé pourquoi il pris la peine de venir le voir, de participer à cela, et il a dit qu’en tant que nouvel évêque à Georgetown, il estimait qu’il était nécessaire de comprendre les différentes dynamiques, les différents groupes qui existent et qu’il voulait comprendre ce qu’il en est pour la communauté gay noire, ou la communauté LGBT au Guyana. Et donc il a eu l’occasion d’accepter l’invitation à faire partie des spectateurs à la projection du film au Guyana, de voir le film et d’en discuter, et je pense que c’était peut-être un important un pas en avant.