Abdellah Taïa: Écrire et lutter pour les gays arabo-musulmans

Par Gibson Ncube

Parmi les religions monothéistes, l’islam a été longtemps couverte d’éloges pour son interprétation souplesse de la sexualité humaine. En Islam, la sexualité, comprenons entre un homme et une femme et uniquement dans le cadre du mariage, est dépourvue de toute connotation négative. Cependant, cette souplesse d’interprétation ne s’étend pas à l’homosexualité. Le Coran est bien explicite dans sa condamnation de l’homosexualité; son interprétation laisse très peu d’ambiguïtés avec lesquelles l’on peut théologiquement argumenter pour cette sexualité.. Néanmoins, historiquement, l’homosexualité était tolérée dans de nombreuses sociétés arabo-musulmanes, quoique demeurant principalement dans le domaine du non-dit et du tabou.

C’est dans ce contexte que l’on rencontre Abdellah Taïa, un écrivain Marocain gay. Né en 1973 à Rabat, cet écrivain ouvertement gay, a publié plusieurs romans en français, dont quatre se concentrent sur la difficulté d’être gay dans une société arabo-musulmane qui est ancrée dans les pratiques culturelles et la piété. En 2006, il fait officiellement son coming-out lors d’un entretien largement médiatisé, dans le magazine marocain, Tel Quel. Cet entretien a fait couler beaucoup d’encre, autant dans le milieu socioculturel que politique du Maroc comme dans de nombreux pays arabo-musulmans.

On peut avancer deux explications quant à l’audace de Taïa. Tout d’abord, il est basé et écrit à Paris. Cette distance lui offre un recule avec lequel il porte un regard critique sur tout ce qui se passe dans son pays natal. La deuxième explication tient du fait de la présence indélébile de l’écrivain dans les médias. Cette présence médiatique a non seulement contribué à lui créer une identité de combattant, non seulement de la défense des droits des gays musulmans, mais également, au fil du temps, Taïa s’est transformé en un véritable commentateur sociopolitique. Il souligne, qu’entant que “Marocain, Arabe, Africain et Écrivain, je sais que quand l’on a l’opportunité d’aborder une question tabou, il faut le faire. Il n’y a pas d’autres choix. Je suis également heureux de parler des choses dont les autres nient l’existence. Ils disent que l’homosexualité n’existe pas dans la culture Arabe. Je suis la pour leur prouver le contraire- à travers mon existence.”

Dans la même veine, les romans “taïaesques” traitent le thème de l’homosexualité dans un milieu arabo-musulman très explicitement. À travers, Mon Maroc (2000), Le rouge du tarbouche (2004), L’Armée du salut (2006) et Une mélancolie arabe (2008), l’écrivain utilise des fragments de monologues intérieurs de sa jeunesse, en association avec des anecdotes philosophiques pour soulever les questions plus pertinentes sur la condition des gays arabo-musulmans.

Issu d’une famille qui refusa de reconnaître son homosexualité et qui lui imposa d’être un “jeune homme normal”, le protagoniste-narrateur dans ces écrits est soumis à un processus long et douloureux et prolongé d’auto-actualisation. D’un adolescent timide et terne, le narrateur se transforme en un brillant intellectuel qui explore en toute confidence sa soi-disante sexualité “déviante”.

Suffocant, littéralement dans une famille et société claustrophobe, le protagoniste tout comme l’auteur, quitte le Maroc pour l’Europe (d’abord à Genève et puis à Paris). L’Europe, en dépit de la froideur, à la fois de son climat et de ses habitants, lui offre un espace dans lequel il peut enfin embrasser et vivre librement son homosexualité.

L’écriture lui offre une catharsis à travers laquelle l’auteur se réconcilie avec son passé et s’affranchit de l’hostilité vécue dans sa famille et son pays d’origine. Dans L’homosexualité expliquée à ma mère (2009), une lettre ouverte à sa famille et à sa mère en particulier, Taïa explique qu’il écrit au sujet de son homosexualité enfin que certains puissent considérer “les homosexuels comme des êtres humains dignes de recevoir des explications.” Loin d’être scandaleux pour le plaisir de l’être, Taïa précise que son écriture est à la fois un don et, comme à travers sa tentative de donner une voix aux sans-voix, aux gays musulmans marginalisés, un devoir.

Par conséquence, les romans de Abdellah Taïa s’efforce, de manière constructive à engager son pays d’origine sur les conditions des homosexuels, pas seulement le choqué. Dans les réactions mitigées que ses romans provoquent, l’auteur voit une première étape dans l’ouverture du dialogue nécessaire sur (et avec) ceux qui ont été mis à l’écart en raison de leur orientation sexuelle..
Bien que certains détracteurs accusent Taïa d’écrire pour satisfaire le gout des lecteurs occidentaux, il ne fait aucun doute que ses romans ont joués un rôle important dans le développement des voix des personnes homosexuelles dans les sociétés arabo-musulmanes. Ces romans pionniers méditent, catéchisent, et présentent toute une nouvelle grammaire et langue sur l’homosexualité dans le monde musulman. Pour les lecteurs musulmans et non-musulmans, ils ouvrent de nouvelles perspectives sur les sexualités et d’identités sexuelles “marginales“ dans les cultures arabo-musulmanes contemporaines.
Dans son article paru dans le magazine gay et lesbien, Têtu de mai 2012, Cédric Douzant déplorait qu’un an et demi après le printemps arabe, c’est encore l’hiver pour les gays arabo-musulmans. Néanmoins, on ne peut pas nier que, dans le contexte du printemps arabe, les écrits de Abdellah Taïa et d’autres artistes “queer“ arabes émergents ont le potentiel de provoquer une considération conceptualisée de l’Islam. Ils appellent l’attention sur sa pertinence et sa capacité de s’adapter aux temps qui changent, en particulier en ce qui concerne la condition et les droits des gays.