J’y étais !

Revued du festival Massimadi 2015, Montréal
Par Lola Kamarizah, photos de Kevin Calixte, The Bao Huy Nguyen et Arc-en-ciel d’Afrique

« Il faut manger le bord »

J’en parlerai toujours avec sourire et sérieux. Oui toujours. Parce que ce qui s’est passé à Montréal du 17 au 28 février était magique ! Je dirais même magistral ! Les organisateurs du festival international des films LGBTQ afro caribéens m’ont tenu éveillée pendant 10 captivantes nuits. Je suis passée des rires aux larmes, de la joie à la tristesse, de l’exaltation au découragement, et j’en suis ressortie avec de la force.

Je vous raconte : j’ai pleuré face à l’incompréhension de la mère de junior 9 ans, un petit garçon noir vivant avec sa mère et son petit frère dans une favela au Venezuela et qui rêve d’avoir les cheveux défrisés pour sa photo d’école. Elle l’a obligé à la regarder offrir son corps à un patron peu scrupuleux pour qu’il voie, comme a dit le médecin, ce que c’est une relation entre un homme et une femme ». J’ai aussi pleuré après Le retour, un court métrage qui raconte la souffrance d’un adolescent découvrant au hasard d’une rue sombre par une nuit de pluie, que son grand frère qu’il vénère est certainement « un pédé ». Si sa déception est si profonde, combien peut-être celle d’un adolescent qui découvre cette facette de son identité ? A côté de ces deux coups de cœur, je ne peux oublier la projection de Woubi chéri au centre communautaire Gais et Lesbiennes de Montréal. Ce documentaire sur la vie des femmes trans à Abidjan en 1998 (bien avant que les actes homophobes soient à la mode en Afrique) a été suivie d’une discussion hyper enrichissante avec deux femmes trans aux trajectoires diasporiques singulières, Solange originaire du Rwanda, et Suzanne originaire de l’île Maurice.

Plus qu’une simple expérience, le film « stories of our lives » de Jim Chuchu est une magnifique prouesse artistique et archivistique réalisée par des jeunes LGBT kenyans. J’ai admiré, fascinée, la beauté de la nature animée dans un montage noir et blanc. Le choix des films d’ouverture aussi était excellent.

« L’autre femme » de Marie Ka donne envie de voir plus. Si tu lis ceci Marie, s’il te plait, continue l’histoire, fais nous revivre les couleurs, les sons et les senteurs de ce délicieux érotisme féminin et générationnel que partagent ces deux coépouses sénégalaises. La foule présente pour la soirée d’ouverture a chaudement salué le film « Black bird » de Patrick-Ian Polk présent. Un fresh moment comparé aux températures à l’extérieur.

Massimadi 2015, ça aussi été des documentaires enrichissants comme « History doesn’t have to repeat itself » de Stéphane Gérard, « Global gay » de Rémi Lainé, ou troublants comme « Out in the night », à propos de quatre femmes lesbiennes noires injustement emprisonnées pour agression organisée alors qu’elles tentaient de se défendre contre des attaques violentes et homophobes d’un inconnu.

« Se souvenir, rêver, se projeter », c’était le thème central du festival. A côté des projections, il y a eu beaucoup, beaucoup, beaucoup d’échanges. On a parlé de la visibilité des LGBT noirs dans le cinéma avec pas moins de sept panélistes à la fois réalisateurs, sociologues, acteurs, photographes, agents de l’Etat. Il en ressort qu’il ne faut pas hésiter à prendre sa caméra et à donner forme aux idées qui nous traversent. La communauté noire n’est pas homogène, la communauté LGBT non plus. Mais qui peut faire ressortir la complexité de notre univers en dehors de nous ?

Avec Maitre Michel Togue avocat au barreau du Cameroun et président d’honneur du festival, on s’est indigné des injustices dont sont victimes les LGBT camerounais. Comment agir ? Par l’éducation. Cela commence dans nos familles qui sont étroitement connectées avec celles d’ailleurs. La projection de « Tongues untied » de Marlon Riggs, suivie d’une discussion avec l’artiste américain Doug Locke et du militant canadien Peter Flegel, ont aussi marqué les esprits et rappellent l’importance, on ne le dira jamais assez d’être soi-même et de ne pas baisser la tête : Homme noir aime homme noir, femme noire aime femme noire.

Ai-je mentionné l’immense soirée de clôture ? A la « Afro queer mafia party », j’en connais qui se sont tordus la cheville de bonheur. Je n’ai cité que des moments qui m’ont marqué. Toute la programmation de massimadi 2015 est encore disponible ici : http://www.massimadi.ca/calendrier-des-evenements/. Lors d’une discussion après une projection, une intervenante a à peu près dit ceci : « la question homosexuelle/trangenre/transexuelle est comme une grande tarte chaude. Pour arriver à faire accepter sa différence, il faut commencer par manger le bord et ne pas aller très vite au cœur de la tarte, parce qu’inévitablement, on va se brûler ». Avec le festival Massimadi, l’association Arc en ciel d’Afrique (http://www.arcencieldafrique.org/) a mangé une bonne partie de son bord. A Bruxelles aussi, la communauté LGBT noire a attaqué son bord depuis mai 2011, avec le festival Massimadi Bruxelles. Toutes les infos ici : http://www.massimadi-bxl.be/.

Vivement qu’il y ait encore de nombreuses initiatives comme ça pour que vive la culture LGBT d’Afrique et de ses diasporas ! Rendez-vous en février à Montréal l’année prochaine. Je serai là !