Casablanca souterrain

By Joseph

Malgré des changements de lieu de dernière minute, de jeunes ‘artivistes’ marocains ont célèbré le troisième anniversaire des révoltes du Printemps arabe par une édition spéciale et victorieuse du ‘Festival de Résistances et Alternatives’ (FRA) en février dernier à Casablanca.

Un an après le déclenchement de la contestation sociale dans la plupart des grandes villes du Maroc, en 2011, un groupe de jeunes artivistes d’une vingtaine d’années disposaient des chaises sur un sol carrelé en damier pour le premier évènement du festival. Un (une?) ami (e) installait une exposition photo sur les manifestations de l’année précédente – ils avaient essayé dans une douzaine de maisons jusqu’à en trouver une qui accepte d’imprimer les images.

“Cette nuit-là je suis rentrée boulversé (boulversée?). Nous avons dansé comme si nous avions pu pour la toute premiere fois danser librement, secouant nos têtes sur les tubes de Souad Massi alors que des zaghrouta (“youyou” selon l’expression française) et des applaudissement intrépides retentissaient tout autour”.

Etant donné qu’au Maroc l’offre culturelle s’appuie principalement d’une culture mainstream financée par l’État, les jeunes “artivistes” et l’ensemble de la jeunesse sont impatients de créer un espace où ils puissent échanger leurs idées, exposer leurs créations et rencontrer des personnes partageant leurs centres d’intérêts et leurs mentalités. Du 20 au 23 février, la troisième édition du Festival des arts et cultures alternatifs devait initialement se tenir dans l’un des endroits les plus emblématiques de Casablanca, un ensemble de bâtiment anciens autrefois utilisés comme abattoirs que les associations artistiques et culturelles essayent aujourd’hui de transformer en lieu pour artistes indépendants, un carrefour de mouvements de résistance et un espace pour évènements alternatifs.

Après deux éditions réussies, qui ont accueilli de nombreux participants et visiteurs, et offert des activités culturelles variées comme des projections de films, des ateliers de théâtre, des débats politiques et des concerts, les organisateurs du FRA ont voulu élaborer leur propre citadelle idéale le temps du festival – une installation calquée sur la trame de la ville traditionnelle et comprenant tous les éléments participant au quotidien des citoyens. Ramenant à la vie le bâtiment abandonné, cette citadelle prévoyait une école, un hôpital, un parlement, un lieu spirituel, un poste de police et un marché, comme décor invitant les participants à construire une société démocratique idéale, et à regarder de manière critique et créative les problématiques sociales du moment et les pratiques institutionnelles.

Cependant, cette brillante idée s’est évanouie rapidement alors que, une semaine avant le festival, les organisateurs recevaient une lettre dans laquelle les autorités interdisaient l’évènement sauf autorisation officielle.

“Un jour avant le lancement du festival, après une semaine de lutte, nous savions que nous n’obtiendrions pas l’autorisation, donc nous sommes passéEs au plan B, qui consistait à développer le programme dans différents lieux avec l’aide de plusieurs organisations. Finalement, nous nous sommes débrouilléEs pour maintenir notre programme malgré les menaces du Ministère de l’Intérieur” explique un (une?) membre âgé de 22 ans du comité d’organisation du festival et également décorateur (décoratrice?).

L’idée d’organiser un festival alternatif est née de la volonté d’activistes politiques de célébrer les révoltes du 20 Février 2011, lorsque des milliers de marocains se sont rassemblés dans la rue pour demander le changement. Quelques manifestants impliqués dans ces luttes ont uni leurs forces et ont ensuite fondé le Mouvement du 20 février.

Deux ans après son émergence, le (la?) plus jeune activiste les a rejoint et a formé des ensembles culturels et artistiques dans différents champs de l’art avec l’objectif partagé de promouvoir la liberté d’expression et les droits humains fondamentaux. Le collectif féministe Femmes Choufouch, l’Union marocaine des Étudiants pour le Changement du Système Éducatif, le groupe de réalisation indépendant Guerilla Cinema, les Végétariens Marocains, ainsi que d’autres artivistes indépendants ont pris part à cette effervescence culturelle et artistique de 4 jours, proposant un programme aussi ambitieux et harmonieux que possible.

Malgré des changements de lieu de dernière minute et des difficultés concernant le budget, “toutes les activités se sont déroulées comme prévu, sans aucune censure”.

“Le public du FRA est majoritairement composé de jeunes. Je pense que le nombre de visiteurs augmente après chaque nouvelle édition. Plus de 200 personnes ont participé au festival cette année, ce qui est une expérience nouvelle pour nous”.

Le programme du festival comportait des ateliers de théâtre des opprimés, des retransmissions sur des radios indépendantes, des débats sur des mouvements révolutionnaires d’autres pays et sur l’identité religieuse, des jeux sur la démocratie, des concerts, des conférences d’histoire, d’économie et de communication, des projections de longs métrages comme “The Land Between” de l’australien David Fedele, un documentaire qui montre la vie clandestine des migrants sub-sahariens dans les montagnes du nord du Maroc. Une sélection de courts métrages était diffusée non-stop dans une salle spéciale pendant les quatre jours pour un plaisir et une éducation continue !

Cette année était de loin la plus internationale de toutes, avec des contributeurs indépendants d’Allemagne, de Palestine, d’Espagne, de France et d’Autriche qui ont traversé les frontières pour partager leur art et leur expérience. Un débat spécial était organisé par des membres LGBT qui ont abordé les thématiques de santé liée à la sexualité et de santé reproductive, ainsi que les questions de genre en général.

“Les résultats que nous avons eu en terme de programme sont riches et variés. Et le nombre de participants a augmenté, ce qui est une preuve que les gens ont besoin d’un espace pour se rencontrer, partager et s’exprimer”.

“Toutes les activités ont été réussies, mais ce qui m’a vraiment impressionné (e?) a été qu’après les deux éditions précédentes nous sommes finalement arrivéEs à organiser un vrai concert, je veux dire, avec une véritable scène et de vraies lumières”.

Au-delà de cette passion, le jeune décorateur (la jeune décoratrice?), beaucoup d’autres – des réalisateurs, des graphistes, des directeurs culturels ou des musiciens – ont contribué à faire de cet évènement un succès retentissant, qui prouve qu’il existe un “nouveau Maroc” qui suit sa propre voix ! (qui suit son propre rythme!)