Amina et Jessica en conversation

Qu’est-ce qui t’a amené à penser ou à explorer l’amour comme un concept révolutionnaire?

Jessica : La source de ma fascination pour les expériences avec la pratique de l’amour comme acte révolutionnaire était en fait ma mère. Adolescente, elle me disait “aimer, c’est se libérer, aimer quelqu’un, c’est de le libérer”. Sa politique a été façonnée par le marxiste, le féminisme, l’anti-apartheid et la décolonisation et par les expériences particulières de sa propre vie en grandissant dans une zone rurale de l’Ouganda. Récemment, elle a écrit:

Mon attachement aux valeurs féministes est enraciné dans le profond amour et le respect pour la femme qui m’a élevée et m’a protégée pendant mon enfance. Entant qu’adulte, ce fondement de l’amour et son respect s’est progressivement traduit par un engagement renouvelé en faveur de la cause des femmes et de la politique en général [1].

Je dois admettre qu’à la lecture de ces mots, j’ai coulé des larmes car je me suis rendue compte que d’une certaine manière, cet héritage est à la base de mon propre engouement pour l’amour révolutionnaire, l’héritage d’un amour qui sert les intérêts de la liberté. Donc pour moi, l’amour révolutionnaire est un concept très bien enraciné dans la politique de gauche/postcoloniale, dans le féminisme et, plus profondément, dans l’AmourMère.

Comment cela se traduit-il dans ta vie, tes milieux d’activismes, tes relations, ta façon de concevoir ce monde? La vie?

Amina : La notion de l’amour, comme acte révolutionnaire comme «non-contraignant », « libérateur », comme un acte politique et porteur d’infinies possibilités a sans doute transformé la façon dont j’interagis avec les autres et avec moi-même. Elle m’a apprise à penser différemment la signification du « self-care », de ma propre longévité, de comment nous prenons soin des autres, comment nous les considérons comme nos sœurs, frères, amiEs, camarades, familles. Elle m’a également aidé à revoir ma compréhension d’être dans une relation AVEC, de comment partager mon intimité de manière à honorer les personnes que j’aime.

Je commence par la pratique du « self-care ». Audre Lorde a appelé le « self-care », «un acte d’autoprotection politique», Toni Cade Bambara l’a nommée quand elle a dit: «Si votre maison est en désordre, vous ne pouvez pas être en ordre», Ntozake Shange nous a rappelé que «se faire plaisir est subversive». Une des choses que j’ai apprises est que le « self-care» est la clé de ma survie et que, si je m’aime vraiment moi-même (d’une manière qui est révolutionnaire), alors je pourrais faire de la place pour ceux dont j’ai besoin pour survivre. Concrètement, cela s’est traduit dans ma vie par la création d’un environnement qui me permet d’être créative, saine et forte. Il a signifié m’embrasser entièrement – le meilleur et le pas-si-bon, mon côté féroce et paisible et mes énergies feu et eau. Mon « self-care» demeure un processus et chaque instant, chaque jour, je fais le travail révolutionnaire de me demander: «de quoi ai-je besoin afin de me sentir en sécurité, sûre et honnête avec qui je suis ?»

En termes de mes relations, j’ai appris à aimer les gens avec soin et intention. Les tenir au centre de mon cœur et de faire vraiment le travail nécessaire pour les aimer … parce que l’amour est un travail! Ce n’est pas que cette chose qui nous étourdisse (même s’il nous donne un sentiment de bien-être et que c’est bon) … mais c’est un travail difficile! Repenser l’amour de cette manière m’a poussé à comprendre ce que ça signifie Aimer et d’aimer profondément. Cela m’a appris à reconnaître que ma santé physique, émotionnelle et mon bien-être sont liés à ceux de ma communauté et que de m’aimer est également de m’engager à soutenir le bien-être de ceux/celles autour de moi … comme ce que Darnell Moore a décrit comme, “agir en concertation profonde les unEs avec les autres”.

Cela m’a aussi aidé à changer la façon dont je considère l’intimité. Pour moi, l’amour qui se manifeste à travers l’intimité devrait ouvrir des possibilités, il devrait chercher à pousser, et libérer dans le sens le plus agréable. Nous devons être prudentEs cependant, parce qu’à bien des égards, l’amour est aussi lié au pouvoir et nous devons chercher à déconstruire et désapprendre certaines habitudes dangereuses au risque de reproduire les mêmes idéologies et systèmes que nous cherchons à démanteler.

[1] Caroline Bazarrabusa Horn dans Voice Power and Soul II: Portraits of African Feminists. Accra: AWDF, 2012

Pourquoi les concepts d’amour révolutionnaire sont importants?

Jessica : La politique est émotionnelle. L’économie est émotionnelle. L’exclusion est émotionnelle. L’activisme est émotionnel. L’autonomie psychique est émotionnelle. La libération est émotionnelle. En évoquant, explorant, en pratiquant une politique révolutionnaire de l’amour, nous reconnaissons que nos actes ne sont pas seulement de contester les fondements structurels de l’injustice, mais qu’ils se trouvent également dans la transformation de comment nous ressentons nos vécus.
Je pense que nous devons également dans notre travail d’activisme, constamment nous nourrir du positif, susciter la joie et créer des ressources d’inspirations qui pourront nourrir notre travail pour des sociétés inclusives, justes et non-violentes. L’amour est cette ressource. Je marche à côté de vous, parce que je me soucie de votre bonheur, je veux votre liberté parce que votre liberté est aussi la mienne.

Je suis entièrement d’accord avec toi Amina que le « self-care » est une partie importante de ce dont nous discutons. L’une des femmes que j’admire le plus, une amie visionnaire, Hope Chigudu disait, “est-ce que nous pensons vraiment pouvoir transformer le monde si nos corps et esprits sont brisés”?

Qu’est-ce qui vous a le plus touché dans les manières dont les contributrices/teurs ont exploré amour, un acte révolutionnaire dans ce numéro?

Amina : Il y a tellement de belles histoires d’amour dans ce numéro. Quel plaisir c’était pour moi de lire toutes ces contributions! Je pense que ce qui m’a le plus touché c’est l’éventail d’exemples que les gens nous ont offert pour démontrer que l’amour qui est transgressif, audacieux et imaginatif. J’espère que nos lectrices/teurs auront autant de plaisir que nous avons à lire ce numéro !