C’est une fille

Par Anonymous. Photo by Oumeyma Milady

Je ne sais pas vraiment par où commencer… Mais je pense qu’il est préférable que je commence avec mes souvenirs des premières fois que j’ai été attirée par une fille. Je viens d’une famille tunisienne moyenne conservatrice. Ma mère et ma sœur sont voilées et mon frère est un homme religieux. Jusqu’à ce premier frisson quand mon amour de lycée m’a tenu par la taille, je n’avais jamais pensé que je pourrais être une lesbienne. Personne ne m’en a jamais parlée.

J’ai eu ma première relation amoureuse lorsque j’avais 13 ou 14 ans non pas parce que je me sentais particulièrement attirée par quelqu’un mais parce que tous mes ami(e)s se mettaient en couple et je pensais qu’il était temps que je leur emboîte le pas. Cela a duré environ deux ans. Je ne m’en souviens pas spécialement, ni des garçons avec lesquels j’étais ; sauf le souvenir de mon premier baiser. Dire que j’étais déçue serait un euphémisme. J’étais dégoutée et avais presque vomi sur le chemin de retour. Les choses se sont un peu améliorées après ce premier incident, mais l’intimité (avec les garçons que je fréquentais) n’avait jamais été particulièrement agréable pour moi. Mon corps ne répondait tout simplement pas. Maintenant que j’y pense, je trouve étrange que cela ne me dérangeait pas. Mais à l’époque ça ne l’était pas. J’avais une famille instable et étais complètement absorbée par mes études donc je ne m’étais jamais posée la question…

Comme je l’ai dit, cela a duré pendant des années … Tout a changé au cours de ma deuxième année au lycée. C’était pendant cette période que je compris enfin ce que mon corps avait toujours su. Cette année je commençai à remarquer un groupe de filles. Deux d’entre elles ont défié toute ma conception de ce à quoi une fille devrait ressembler. Elles étaient des garçons manqués et désordonnées, mais je trouvais l’une d’elles extrêmement attirante. Lorsque je posais des questions à leur sujet à mes ami(e)s, ils me dirent qu’elles étaient un groupe de lesbiennes.
Le mot ne me disait rien du tout. Je l’avais seulement entendu vaguement auparavant et toujours comme quelque chose de sale et immonde. Dans ma famille, le mot n’avait jamais été prononcé. Au sein de mon cercle d’amis de l’époque (qui était aussi conservateur que ma famille) le sujet a été rarement soulevé et quand ça l’était, comme tout autre tabou, nous en avions vaguement parlé dans une atmosphère de culpabilité terrible. J’avais presque 16 ans à l’époque. Mais j’avais vécu toutes mes années précédentes dans une coquille. Cela m’a rendu prude et frileuse. Bref, revenons à elle…

Dans le but de protéger son identité, je l’appellerais Sara (bien que ce ne soit pas son vrai nom). Je sais que cela semble si typique, mais du moment où je l’ai vue, cette fille ne quitta plus mon esprit. Au début, je ne pouvais même pas me l’avouer. Mais plus j’y pensais, plus je réalisais que je voulais désespérément me rapprocher d’elle… Pourtant j’avais peur et elle semblait si inaccessible. Je commençai à écouter de la musique que les filles chantaient à propos des autres filles. Je commençai à regarder des films sur les filles qui aiment les filles et en souffraient et je pleurais à chaudes larmes à chaque fois. J’entrais littéralement dans un nouveau monde, mais je faisais le voyage seule. Personne d’autre ne le savait. Je n’avais personne à qui en parler. Mais avec le temps, j’eu un peu plus de courage. Je la regardai et souris! Je sais que cela semble banal, mais à l’époque, c’était un grand pas pour moi. Et elle sourit en retour.

Elle vint me voir un jour et commença une conversation. Avant cet instant, je n’ai jamais ressenti une confusion si intense. Je du ressembler à une idiote! Mais elle me parla encore… et encore… et je devins plus confortable et plus confiante, et nous devenions proches.

C’était quelques-uns des plus beaux jours de ma vie. Mais aussi certains des plus difficiles. J’ai ri comme un enfant quand nous étions ensemble. Mon cœur sautait presque de ma poitrine lorsqu’elle me disait des choses douces. C’était aussi la période où j’avais commencé à ressentir le fameux «désir sexuel» dont j’avais toujours entendu parler mais que je n’avais jamais ressenti envers aucun de mes ex-petits amis. Elle m’a aidé à m’épanouir comme une fleur. Maintenant, en regardant en arrière, je peux même dire qu’elle m’a amené à me découvrir. Elle a également été celle qui m’a donné le courage d’explorer les désirs et les besoins de mon corps. Lorsqu’elle m’embrassa pour la première fois, j’avais senti des papillons dans des endroits que je n’avais jamais ressentis auparavant. Et lorsque nous avions fait l’amour pour la première fois (aussi maladroit et juvénile que c’était) j’eus l’impression de flotter sur un nuage.

Rien ne pouvait être comparé au bonheur d’être dans ses bras. Elle était mon premier amour… et comme les rumeurs autour de moi commençaient à se répandre et que j’avais perdu la plupart de mes amis conservateurs (rien de dramatique. Ils avaient juste arrêté de me demander de passer du temps avec eux et j’avais compris), elle devint mon monde. C’est alors que la double vie que je mène encore démarra. À la maison, j’étais encore la bonne fille, la bonne sœur. Personne ne soupçonnait rien. Et pour que ça continue ainsi, mentir à ma mère dû devenir une seconde nature pour moi. Ma mère est une ménagère traditionnelle dans la cinquantaine qui a eu une éducation très modeste, se maria tôt, et a passé toute sa vie à adorer Allah. Savoir ce qu’est devenu sa fille briserait son monde. Et ce n’est pas une exagération. Pendant toutes ces années, la pensée qu’elle le découvre était l’un de mes pires craintes. J’ai 22 ans maintenant, et ça me fait encore peur.

Quant à mon histoire d’amour, les problèmes commencèrent au cours de ma dernière année au lycée pendant que je me préparais pour l’examen du baccalauréat. C’était une année tellement difficile. Je m’endormais presque tous les soirs en pleurant. Lorsque nous nous disputâmes et rompîmes, j’étais complètement seule. La plupart de mes nouveaux ami(e)s étaient les siens à l’origine et donc ils s’étaient rangés de son côté bien que j’étais celle qui eut le cœur brisé. Dans mon désespoir, je voulais juste terminer l’année et partir de ma ville natale. Et je l’ai fait.

Je déménageai à la capitale. Ma première année à l’université n’était rien de ce que j’espérais. J’eus encore de la difficulté à me faire des amis et j’avais peur de m’ouvrir à eux lorsque je m’en faisais. Plus on vieillit, plus faire confiance aux gens devient de plus en plus difficile. Peut-être que c’était parce que je venais de déménager dans un endroit où je ne connaissais personne, ou parce que mon cœur venait juste d’être brisé par la seule personne que j’avais jamais aimé, ou peut-être que je commençais à m’habituer à ma solitude… Le truc c’est que j’eu une dépression cette année. J’eus des pensées suicidaires et je réussi à peine à me frayer un chemin à travers. L’espoir que les choses pourraient aller mieux était ce qui m’avait permis de m’en sortir.

Je commençai un blog cet été. Cela m’a aidé à me faire de nouveaux amis LGBT à l’étranger qui m’aidèrent pendant ma dépression. J’avais également réussi à recommencer à sortir avec d’autres personnes, mais je n’ai rencontré personne de vraiment spécial. Ma deuxième année a l’université, je rencontrai la jeune fille qui allait devenir et est toujours ma meilleur amie. Son surnom est Ray-Ray. Elle est la première amie proche à connaitre mon orientation sexuelle. Nous étions en train de discuter et le sujet sur l’amour homo-érotique fut soulevé. Son attitude décontractée et tolérante m’a encouragé à faire un pas en avant.

Je lui dis à elle et à mon autre amie qui a également montré une attitude similaire que j’étais bi-curieuse (j’avais trop peur de dire que je suis une lesbienne) et elles l’ont bien pris toutes les deux. C’était si bon de commencer à finalement parler de cette partie profondément cachée de moi mais j’avais toujours peur qu’elles puissent commencer à me traiter différemment. Je le leur ai dit la prochaine fois où je devais sortir avec une fille. Ray-Ray était tellement excitée pour moi et m’a même aidée à me préparer! Ça m’a fait plaisir. Je ne m’étais jamais sentie aussi acceptée auparavant. Je lui dis la vérité (que je suis une lesbienne) lorsque je revins de ma sortie ce jour-là. Elle a souri et m’a dit que c’était okay et qu’elle m’aime et sera toujours là pour moi. Actuellement, Elle a dit ces mots exactement (nous sommes toutes les deux diplômées en anglais)! Des larmes de joie coulaient sur mon visage pendant que je la serrai dans mes bras pour ce qui semblait être une éternité. Son soutien signifiait tout pour moi surtout après tout ce que j’avais vécu, et c’est la raison pour laquelle elle aura toujours une place spéciale dans mon cœur.

L’année suivante, nous nous étions fait de nouveaux amis. Avec 3 autres filles, nous étions devenues un groupe d’amies proche qui organisait des fêtes vibrantes (et interdites) dans notre dortoir avec suffisamment d’alcool pour assommer une demi-douzaine d’hommes! Une nuit, nous avions toutes bu un peu et parlions de « l’amour, du sexe et de la magie » (rien avoir avec ce sujet, Ciara ressemblait à une déesse dans cette vidéo!) lorsque je leur dis que je passais le week-end avec quelqu’un; l’une des filles cria: «n’oublie juste pas de prendre un préservatif, d’accord?» et Ray-Ray (ivre comme elle l’était) dit: «elle n’en aura pas besoin». Alors les filles commencèrent à faire des suppositions quant au pourquoi pas. «Il est stérile»! Lança l’une d’elle en riant. «Elle est stérile»! Taquinait l’autre. «Allez dis-nous»! Et c’est à ce moment que c’est arrivé. « C’est une fille»! S’écria Meriam, et elles devinrent toutes silencieuses. Lorsque je dis oui, leurs acclamations effrénées m’ont presque assourdie. Je n’avais jamais imaginé que la nouvelle de mon orientation sexuelle ferait sauter un groupe de filles dans tous les sens avec enthousiasme. Maintenant j’ai toujours ce sourire idiot sur le visage à chaque fois que j’y pense. En fait, l’une des filles sauta sur moi en hurlant: «salope! Pourquoi ne nous a tu pas dis avant?». Ce fut une nuit joyeuse pour moi! L’un des plus joyeuses jusqu’à présent! Je pensais que ça deviendrait gênant après, mais non. Cela fait plus d’un an et elles ont même rencontré quelques-unes des filles avec lesquelles je suis sortie et elles ont toujours été très aimantes et encourageantes.

Je me sens bénie de les avoir rencontré. Je le suis vraiment. Même si ma vie amoureuse n’est pas lancée comme je pensais qu’elle le serait à ce moment, leur amitié m’a aidé pendant mes ruptures et la dépression qui s’en suit habituellement. Elles sont toujours prêtes avec un film et un pot de Nutella en attente! Je ne sais pas ce qui serait advenu de moi sans elles. Elles sont mon ancre. Quand l’obscurité de la vie dans l’ombre devient trop étouffante et le fardeau du secret trop lourd pour une jeune fille comme moi, elles sont celles qui parviennent à me guider hors de là. Je ne pourrai jamais oublier leur bonté à mon égard, et je ne pouvais pas être plus reconnaissante.