Dans les taxis d’Abidjan

De Solange A. Musanganya. Photos de Christian Poll

Dès que j’eus pris place dans le taxi, Diallo s’est mis à bander… Aujourd’hui encore, tandis que je vous raconte cette histoire, je ne suis toujours pas parvenue à élucider le pourquoi et le comment de cette soudaine érection. Qu’est-ce qui pouvait mettre Diallo, le taximan dans cet état ? Sûrement pas le legging noir d’un genre très ordinaire que je portais ni le tee-shirt sans griffe qui cachait d’ailleurs parfaitement mes seins ! A moins que ce ne soit l’absence de soutien-gorge ! Mais de toute façon, je n’en porte jamais depuis deux ans que j’ai des seins ! Après mon opération mammaire, les rares fois que j’en ai porté, ils faisaient anormalement et indécemment pointer mes seins en l’air. Les soutiens-gorge ne me réussissent pas, de toute évidence. Etait-ce ces quelques millimètres de circonférence de mes tétons qui ont suscité cette bosse surdimensionnée dans le pantalon de Diallo? Je ne le saurais jamais.

Son sexe a anormalement pris du volume quand deux minutes plus tard je lui demandai si nous pouvons échanger nos numéros. Mais ne me comprenez pas mal : ce n’était pas à cause de son sexe gonflé à la satisfaction de ma vue que je lui demandai son contact mais plutôt pour la qualité de son service. Car dès que j’eus pris place dans le véhicule, Diallo avait eu la délicatesse de fermer les vitres et de mettre en marche la climatisation. Cela m’impressionna d’autant plus que le taxi était neuf et très propre, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Diallo conduisait sans bruit, et peut-être était-il le seul chauffeur d’Abidjan qui eut la patience de laisser les autres taxis le dépasser sans ruminer de colère ni les insulter. Maitre de la conduite, je sus plus tard que Diallo avait au bout des doigts quatorze ans de métier et avait pris le volant pour la première fois à l’âge de dix-huit ans. L’état de la voiture, sa maitrise du volant, la politesse exquise avec laquelle il s’adressait à moi, son allure constituaient un ensemble d’attraits qui m’aimantait vers lui et me faisait former le vœu de le revoir régulièrement à mon service. Pourtant, et pour être honnête, il me faut avouer que la vue de ce sexe prenant des dimensions prodigieuses devant moi a aussi influencé, en partie, mon envie de garder le contact avec lui. C’est que je me sentais doublement appréciée!

Du quartier des Deux plateaux à celui de Yopougon est une longue distance à parcourir. Diallo avait accepté sans hésiter ma proposition de lui payer 2000fcfa la
course malgré les bouchons récurrents à cette heure-là. Nous étions partis pour passer presque une heure ensemble dans sa voiture. Sa langue se délia au gré des
embouteillages. Il en profita pour me parler de lui. Je l’écoutais avec attention. Musulman pratiquant, il était Dioula, originaire du Nord de la Côte d’ivoire.  Marié et père de deux enfants, il avait un profil communément stable. Et dans le feu de la conversation, sans raison apparente, il me dit que cela faisait plus de deux mois qu’il n’avait pas fait l’amour, que cette situation d’abstinence lui donnait parfois des réactions désordonnées lorsqu’une femme se trouvait assise à ses côtés, surtout si cette dernière est belle. J’esquivai et fis semblant de ne rien entendre de cette intime confidence. Je n’avais pas de solution appropriée à apporter à sa préoccupation en dehors d’une écoute active. Je finis par le persuader de m’entretenir de l’état des routes à Abidjan et l’histoire des bâtiments que nous dépassions et les noms des quartiers que nous traversions.

Diallo était grand de taille et de large carrure. Son taxi et sa personne ressortaient facilement du commun des taximen de la ville. Son français était parfait. Son attitude vis-à- vis de la clientèle était proche des standards occidentaux. J’osai croire qu’il se comportait ainsi avec tout le monde. Il parlait peu de vive voix mais ses yeux et l’expression de son visage étaient intarissables. Je dirais même que son corps entier parlait plus que sa langue.

  • Etes- vous mariée, me demanda-t- il avec un sourire.
  • Non, pas encore, lui répondis-je en lui rendant son sourire plus brillant.
  • Savez- vous conduire ? M’interrogea t-il.
  • Non, non, hélas, dis-je.

Il me proposa alors de poser la main sur le levier de vitesse et m’y aida. Sa voiture est manuelle comme la plupart des voitures d’Abidjan.

  • Je mets les vitesses et tu les sentiras dans ta main, dit-il, professionnel.

Il posa sa main au-dessus de la mienne.

  • ça c’est la quatrième vitesse. Elle est légère. La voiture roule légèrement, en douceur comme ta main.

Commenta-t- il en caressant mes doigts. Je le regardai dans les yeux, il me fit un sourire avec l’air de dire « j’ai sérieusement envie de toi, de te manger crue là, mais je sais que je ne peux pas, tu es hors de ma portée. » C’était un sourire de séduction et d’impuissance.
Il fit remonter l’embrayage vers le haut.

  • ça c’est la troisième vitesse, elle est plus dure, plus masculine, la voiture prend de la force et monte avec audace.

La sensation était agréable. Je me laissai draguer par ce chauffeur Ivoirien, je me fis naïve, enfant, j’écoutai et je souris, je parlai peu, je lui donnai le dessus.
Quand il m’eut déposée à Yopougon, toit rouge, devant le maquis Prestige, il me lança.

  • Je resterai dans cette commune à t’attendre. Appelles moi quand tu finis, le retour sera gratuit pour toi.

La tentation devenait forte.
Ma commission n’allait pas tarder. Vingt minutes suffisaient. J’ai appelé mon Diallo qui était là dans les cinq minutes qui ont suivi. L’allée fut aussi plaisante que le retour, même si je ne donnai plus ma main tout de suite pour me faire tripoter.

  • Ta main est tellement douce. Je ne cesse d’imaginer tout ton corps…

Diallo m’a ramenée dans ma résidence à Rosier programme 6, Je l’ai revu trois ou quatre fois la semaine qui a suivi. Il m’appelait même pendant ses jours de repos. Je le rémunérais comme je pouvais. Parfois, il refusait de prendre le prix de la course. Il connaissait le chemin vers chez moi comme s’il y venait tout le temps et me donnait un service direct devant la porte. Il était ponctuel et toujours disponible quand j’avais besoin d’un taxi.

Hier c’était son jour de travail. Je n’ai pas eu besoin de taxi. Le soir il m’a appelée, me demandant pourquoi je n’ai pas fait signe de vie. Je n’avais pas besoin de taxi toute la
journée. Il m’a demandé s’il peut venir me voir, si nous pouvons aller manger ensemble. J’avais faim et j’ai accepté son invitation. Nous sommes partis à Riviera 2, un coin très animé de jour comme de nuit, surtout aux heures du souper. Poisson braisé, boisson sucrée, je lui ai fait honneur de ne pas commander une bière, c’est haram pour les musulmans. Puis vint le temps de la conversation et de la confidence.

Il parla en premier.

  • Tu sais Aicha, tu ne me croiras pas si je te dis que je n’ai pas été à l’école française. Pourtant je sais lire et écrire. La preuve je t’envoie moi-même les sms. Mon père m’a mis dans une école coranique, c’est mon petit frère qui a fréquenté l’école française et qui m’apprenait à lire et écrire les abcd et moi je lui apprenais l’arabe. Je travaille fort, je suis une personne qui se débrouille bien, je vis ma vie que je gagne honnêtement, je suis responsable dans ma mosquée, capitaine dans l’équipe du quartier… mais toi, je ne sais pas pourquoi… mon corps a pris dès la seconde je t’ai vue.

Je l’écoutais. Il parlait et parlait. Je ne l’avais pas vu parler ainsi avant. Ses mots avaient l’air de lui venir droit du cœur, l’expression du visage qui accompagnait son discours n’avait rien de calculé. Je vous parle avec expérience. Oui j’ai rencontré des hommes hétéros qui ont une langue sucrée en face d’une femme. Diallo n’avait rien d’eux. Il n’avait pas besoin de me dire qu’il n’a pas fréquenté. Il savait très bien que ça allait jouer en sa défaveur, mais il me l’a dit.

Et j’ai demandé mon tour de paroles.

  • Moi aussi j’ai quelque chose à te dire. Très simple mais difficile à dire.
  • Finis de manger d’abord.

J’ai fini et j’ai repris la parole.

  • Oui je disais que j’avais quelque chose à te dire. Je ne suis pas une femme. Je suis un homme. Disons que j’ai l’organe sexuel des hommes, un pénis. Je n’ai pas de vagin.

Je ne me savais pas aussi directe, mais avec le background que je venais d’écouter de lui, il me fallait être simple dans les mots et non chercher les mots compliqués pour expliquer une situation non habituelle.

Sa réponse me surprit.

  • Je le savais. Je le sais depuis le premier jour que je t’ai vue et je me suis déjà donné la réponse à moi-même : ça ne me dérange pas. Tu es belle, gentille,
    intelligente, fascinante, aucun homme ne peut te résister, même en sachant la vérité sur toi. Tu sais, j'ai déjà rencontré une personne presque comme toi. Dans mon métier de taxi on rencontre toutes sortes de choses. Pour elle je ne savais pas jusqu’à ce qu’elle me le dise. La seule différence avec toi c’est que dès qu’elle me l’a dit, elle voulait tout de suite coucher avec moi. Je ne voulais pas. Toi c’est différent. Je n’ai jamais vu en toi une intention de vouloir coucher avec moi. Je me suis toujours mis en disposition pour toi pour ça, rien. » Il mit une pause.
    En fait c’est toi qui parlais… désolé de t’avoir coupé la parole. Conclut-il.

Je n’avais plus rien à dire. On est resté silencieux. En bon Ivoirien il a payé toute la facture.  En descendant les escaliers du bar, il m’a pris par la main. En entrant dans son taxi, il n’a pas laissé ma main sur la vitesse comme d’habitude, il l’a dirigée sur sa cuisse, entre ses cuisses, et m’a fait palper son sexe gonflé en érection maximale. Je palpais en silence ce concombre qui descendait jusque vers le genou gauche, j’enlevais ma main par occasion et il la reprenait avec autorité pour la remettre sur son sexe bandé. C’est un musulman du nord, un dioula, cousin des haussa du Cameroun, le mythe se vérifie. Le geste a provoqué l’effet semblable chez moi. Normal, ca faisait un an que je n’avais pas connu un homme intimement. En arrivant chez moi il m’a demandé « est ce que je peux utiliser tes toilettes? » Il savait très bien que mes toilettes étaient directement connectées à ma chambre à coucher et qu’il faut passer par là pour
y accéder. A vous de deviner la suite, vous êtes des grandes personnes et moi une grande dame.

Je sens encore l’odeur de son parfum sur ma serviette avec laquelle il s’est essuyé après la longue douche de fin prise ensemble. Rien qu’en la reniflant les frissons me parcourent le corps en souvenir de la nuit d’hier. Elle restera longtemps non lavée. Eh Diallo. Eh Allah… Dieu est grand. A nous d’apprécier sa création qui nous fait reconnaitre son immensité.