Takasa: Libérer Nos Vérités par la Purification et la Conscience

Par Sokari Ekine

Entre Mai et Juin 2017, j’ai visité la région côtière du Kenya dans le cadre d’une collaboration avec la militante kényane LGBTQI Laura Wangari. Nous avons visité les villes de Mombasa, Malindi, Kipini, Lamu et Kilifi où nous avons rencontré des personnes qui s’identifient comme LGBTQI. Nos conversations au cours de ces trois semaines ont porté sur les nombreux défis auxquels sont confrontées les personnes LGBTQI et sur les pratiques spirituelles qu’elles adoptent pour surmonter les complexités et les paradoxes qui relèvent de l’expérience queer. D’après nos conversations et nos séjours dans les villes côtières, il est clair que l’expérience queer est différente à travers le Kenya et à travers les réalités intersectionnelles du genre, de la classe, de l’accès économique, de la religion, de la culture et, selon le temps. Sur le plan artistique, notre intention est de montrer un amour et une convergence communs, en explorant les possibilités offertes au corps noir non-normatif. En même temps, il est important pour nous de ne pas nous engager dans une “mauvaise interprétation” de ce dont nous sommes témoins et d’assigner des notions occidentales d’identité dans notre quête du Corps Noir Africain Queer. En tant que projet de collaboration, nous ne parlons qu’au nom de celleux d’entre nous qui y ont contribué.

Les photos de Laura Wangari, présentées ici, font partie de la collection “Spirit Desire : The Vernacular of Freedom, and the Politics of Rescue in Queer Futures” que nous avons intitulé “Takasa: Libérer Nos Vérités par la Purification et la Conscience”. Les photos ont été prises en Juin 2017 et le projet a été rendu possible grâce à une subvention de Global Arts Fund.

Historiquement, les peuples africains ont navigué les complexités de la vie en utilisant le passé comme vaisseau pour se déplacer entre le présent et le futur. Ici, dans nos pratiques spirituelles, nous parlons avec nos esprits non pas en tant qu’adorateur-trice-s mais en tant qu’énergies mutuellement dépendantes que nous ressentons avec notre corps, mais ne pouvons voir avec nos yeux ; du visible à l’invisible et de l’invisible au visible, un Futurisme Africain guidé par les ancêtres et les pratiques de guérison traditionnelles. Être présent, être passé et être futur a exigé de nous, peuples noirs, ce que la poétesse Nicole Sealey décrit comme une “force hystérique” – pas un “phénomène de foire” mais une persistance pour et de la survie. [1] Hysterical Strength par Nicole Sealey.

Dans “Spirit Desire : The Vernacular of Freedom, and the Politics of Rescue in Queer Futures”, ma collaboratrice Laura Wangari et moi-même contemplons la centralité de la pratique spirituelle pour les personnes queer d’origine africaine. Nous avons passé trois semaines entre nous et avec des amiEs et des compagne-on-s de voyage, à parler, à mastiquer, à boire, à rire, à danser, à cuisiner et à manger, pour comprendre qui nous étions, qui nous sommes, les contradictions de ces espaces et de ces temps, ainsi que notre essence spirituelle. Nous considérons nos diverses pratiques spirituelles comme des actes de décolonisation – des “récits de liberté”.

“Ici, dans nos pratiques spirituelles, nous parlons avec les esprits non pas en tant qu’adorateur-trice-s mais en tant qu’énergies mutuellement dépendantes que nous ressentons avec notre corps, mais ne pouvons voir avec nos yeux ; du visible à l’invisible et de l’invisible au visible; un Futurisme Africain guidé par les ancêtres et les pratiques de guérison traditionnelles.”

“Les pratiques spirituelles nous offrent un moyen de guérir et de nous libérer de la tyrannie de l’hétéronormatif et de la politique identitaire étroite des ONG”

Laura Wangari explique:

“Je crois que mes esprits ancestraux me guident dans de nombreux rituels spirituels et dans l’identification de guérisseur-se-s spirituel-le-s. Ce genre de rituels est très populaire au sein de la communauté queer de la côte en raison des difficultés que nous rencontrons dans nos relations à tous les niveaux.  Les pratiques spirituelles nous offrent un moyen de guérir et de nous libérer de la tyrannie de l’hétéronormatif et de la politique identitaire étroite des ONG. L’émergence de bailleurs de fonds pour les programmes queer [l’ONGisation de l’activisme LGBTQI] a, je crois, déformé la vie queer unique que nous avions autrefois le long de la côte kenyane.  Aujourd’hui, nous sommes confrontéEs à un harcèlement verbal et sexuel extrême de la part des autres membres de la communauté.  C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime Kipini et Lamu, car on peut être plus libre dans nos expressions sexuelles et de genre dans ces espaces. Maintenant, nos pratiques spirituelles nous aident à répondre aux questions :  Comment rester pertinent dans une famille ou une communauté qui vous méprise ? Comment se libérer d’un esprit colonisé ?”

Les deux questions auxquelles nous revenions sans cesse étaient les suivantes : comment pourrions-nous parler de la pratique spirituelle queer et des façons d’exister avec des histoires qui suggèrent un récit différent de celui de l’homophobie/homosexualité spectaculaire [voir “Spectacular Homophobia” par Keguro Macharia & the “Queer African Reader”, Sokari Ekine & Hakima Abbas, Eds] ; et deuxièmement, comment pourrions-nous souligner l’importance de la guérison et de la conscience comme moyen de dire la vérité au milieu du récit de l’AfricainE “spectaculaire”. Nos conversations étaient une tentative de réfléchir à la manière de nous libérer de la “narration spectaculaire” qui entoure les notions occidentales de l’homosexualité africaine, de l’homophobie, des pratiques spirituelles et de la rhétorique de panique sur la “non-africanité de l’homosexualité” provenant de diverses entités religieuses et gouvernementales africaines. Il est possible que nous n’ayons pas besoin de nous libérer, ou peut-être que cette libération consiste à exister de manière authentique en prenant en compte les réalités quotidiennes et la présence de “l’invisible” dans ces réalités. À bien des égards, vivre une vie queer est une réalité non définie et non figée qui apporte une richesse et une profondeur au-delà des récits de “sauveur” et de “pécheur”.

“Je n’ai jamais été conseillée sur l’ordre de la conduite des rituels et dans cette cérémonie, le but du bain marin est une purification spirituelle”. Ces espaces représentent des habitats spirituels et je demande leur permission pour être présente dans leur environnement.  J’aime l’environnement marin et je crois qu’il y a beaucoup d’esprits ici et qu’il est plus facile de se connecter avec eux lorsque je suis propre, totalement propre.  Rien ne purifie mieux que l’eau de mer. Cette connaissance m’a été transmise par mon/ma guérisseur-se spirituelLE. Je ne sais pas comment je me retrouve habillée en blanc. C’est la même couleur que mon vêtement de prière musulman. (La pureté de la couleur me donne la conviction que je m’adresse au bon esprit, à celui qui me sera favorable).  Dans une autre cérémonie, qui peut avoir lieu séparément ou avant le bain, je brûle de l’encens pour apaiser les esprits. On m’a dit que les esprits aiment les odeurs douces; j’utilise diverses herbes locales et du sel. Je demande l’autorisation d’utiliser la mer pour me baigner afin d’éliminer les énergies négatives, de repousser les mauvais esprits et le mauvais œil qui peuvent causer toute sorte de mal (la colère, la confusion, le hassad par exemple)”. Laura Wangari