Collectif Les Sans-Nom: Contribuer à l’expression artistique et culturelle queer Burkinabè

Propos recueillis par Emma Onekekou. Photos par Wacyl Kha

Si l’on vous demandait de citer des productions visuelles LGBTQIA+ africaines, vous seriez sûrement en mesure d’en citer quelques-unes. Mais qu’en est-il des productions d’Afrique francophone spécifiquement? Loin d’être impossible, la tâche s’avère néanmoins beaucoup plus ardue. Q-zine a eu le privilège d’échanger avec Les Sans-Nom, un jeune collectif basé au Burkina Faso qui contribue à la construction d’un lendemain où les productions visuelles et artistiques LGBTQIA+ africaines, d’Afrique francophone en particulier, ne sont plus si rares.

Pourriez-vous vous présenter à nos lectrices-teurs?

Je m’appelle Emma Onekekou. J’ai deux pays: celui qui me relie à mon cordon ombilical, la Côte d’Ivoire, et mon pays de cœur, le Burkina Faso. Je réside au Burkina Faso actuellement, j’y ai suivi l’amour et j’en suis tombée amoureuse. Je m’identifie comme une femme cisgenre et lesbienne. J’avoue que ces derniers temps, j’ai beaucoup de mal à mettre le terme cisgenre devant « femme » pour parler de moi parce que pour moi, nous sommes femmes et c’est tout. J’aime aussi préciser que je suis lesbienne parce que pour moi, ça a un caractère politique. J’utilise « elle » comme pronom. Je suis autrice, scénariste et militante LBTQI+. J’ai intégré le collectif parce que je voulais mettre mon savoir artistique au profit de la communauté et parce que pour moi, l’art est aussi un outil puissant d’expression et de valorisation d’une communauté.

Je suis Francky Belany, nigéro-burkinabè d’origine tchadienne. Je vis actuellement à Ouagadougou (Burkina Faso). J’utilise « il » comme pronom mais je ne suis ni homme ni femme, et les deux à la fois. Le « il » me fait me sentir moi parce que neutre et non masculin. Je suis toujours à la recherche de mon moi qui n’est pas le moi actuel. Je voulais, à travers mon savoir, faire valoir les droits LGBTQI+. En interprétant un personnage, en dirigeant, en chantant, en dansant et en écrivant, je veux laisser des traces qui impacteront la vision que le monde a de notre communauté.

Wacyl Kha, je suis franco-algerien-ne basæ au Burkina Faso. J’utilise dans l’idéal le pronom « iel » +acc neutre, mais plus souvent le masculin par simplicité. Je suis à la base scénographe de théâtre, mais aussi illustrateurice. Dans la vidéo, je touche autant à la réalisation, la caméra, le montage qu’au film d’animation. Ce collectif, c’est un peu un rêve pour moi, pouvoir concilier l’art et le militantisme, faire des créations qui peuvent réellement avoir un impact, et surtout, qu’il s’agit de la communauté! Et je fais partie de celleux qui sont là pour rappeler qu’il n’y a pas que les gays et lesbiennes. Il y a d’autres lettres dans LGBTQI+.

Comment vous est venue l’idée de créer le Collectif Les Sans-Nom

L’idée est venue avec Francky Belany et Wacyl Kha qui cohabitaient ensemble et avaient beaucoup de projets ensemble, notamment une résidence d’écriture sur le féminisme et une pièce de théâtre intitulée Poisson Braisé qui porte sur un couple lesbien. Ce sont des sujets qui sont souvent compliqués à aborder ici à Ouagadougou. Iels se sont donc dit  qu’en créant un collectif, aussi petit soit-il, iels n’en seraient que plus fort-e-s. L’idée était que ce collectif puisse porter les revendications qui nous tiennent à cœur, c’est à dire les droits LGBTQI+ et des autres minorités ici en Afrique. Et puis après plusieurs échanges, nous avons partagé l’idée avec Emma qui a tout de suite accepté de nous rejoindre. Il y a une quatrième membre mais elle aimerait rester anonyme.

Pourquoi avoir choisi ce nom? Il est particulier, il faut se le dire.

Nous nous sommes rendu-e-s compte que très peu de personnes, même au sein de la communauté, osent prononcer les mots comme « lesbienne », « homosexuel-le ». Or, ces mots ne sont pas des insultes mais des identités. En refusant de les prononcer, de nous nommer, c’est nous que nous perdons. Nous avons donc décidé de tourner cette situation à notre avantage en devenant les porte-parole des sans-noms, des laissé-e-s-pour-compte, de « celleux qui ne comptent pas ». Parce que nous sommes bel et bien là, et nous entendons revendiquer notre place.

Qui sont les artistes qui composent votre collectif et comment est-ce que d’autres artistes peuvent s’y joindre ? 

Pour le moment, le collectif est réduit. Il est composé d’une autrice scénariste et militante LBTQI+, d’un scénariste, acteur, metteur en scène, et d’un vidéaste, illustrateurice, technicien. En général, nous collaborons d’abord avec des gens pour voir si nous avons la même approche. La seule condition obligatoire pour être membre du collectif à part entière est de faire partie de la communauté. 

Ces mots ne sont pas des insultes, mais des identités.

D’où vous est venue l’idée d’utiliser l’art comme outil de militantisme? 

Nous sommes d’abord des artistes. Mais nous pensons que l’art doit servir une cause. Il semblait naturel de défendre la nôtre, de donner une visibilité à nos histoires, et si possible, d’inspirer d’autres, qu’iels sachent que nous existons et pas seulement en Europe ou en Amériques. Nous sommes convaincu-e-s que l’art a deux fonctions : apaiser les cœurs et sensibiliser. Partout dans le monde et à travers les temps, l’art a été utilisé comme un outil pour communiquer des idées et sensibiliser le public. C’est donc tout naturellement que nous avons allié les deux.

Pouvez-vous nous parler de quelques-unes de vos productions ou de projets en cours ?

Notre première production est Poisson Braisé, une pièce de théâtre puissante et poétique sur un couple de femmes africaines qui doivent faire face à la pression sociale. Nous avons aussi collaboré avec d’autres femmes sur une exposition intitulée Elles s’engagent debout ! Nous menons également des ateliers créatifs avec des membres de la communauté ainsi que des projections de films LGBTQI+ africains. Et puis, chacun-e d’entre nous a ses activités précédentes et/ou parallèles de court-métrages, BDs, livres, etc.

Actuellement dans nos fourneaux, nous avons le long métrage Inbri écrit par Emma Onekekou et co-réalisé par nous trois. Et beaucoup d’autres choses à venir, mais nous n’allons pas gâcher la surprise. Restez à l’écoute!

Et le futur du Collectif, vous le voyez comment?

Pour nous, le futur c’est continuer à mettre notre savoir-faire au service de la communauté, travailler à développer les compétences artistiques des membres de la communauté. Cette communauté regorge de tellement de talents! Donc notre travail sera de créer un cadre d’expression pour tou-te-s ces artistes afin qu’iels puissent émerger. Nous allons continuer à chercher des financements pour faire le plus de productions possible et pourquoi pas, ouvrir un centre culturel LGBTQI+. Les gens ont besoin de se retrouver pour des événements culturels, de s’exprimer, même si la société veut nous faire taire. Nous espérons contribuer à créer un nouveau cadre pour que les membres de la communauté puissent être elleux-même. Nous voyons d’ors et déjà l’influence que nous avons sur d’autres associations ici à Ouaga.

Enfin, nous espérons pouvoir insuffler une nouvelle vision du militantisme et de comment s’adresser à notre communauté.