Le reflet de l’âme

Interview de Michael Kémiargola et Photos de Delphine Alphonse , Michael Kémiargola, Pauline N’Gouala

La franco-congolaise Pauline N’Gouala peint des toiles intranquilles qui interpellent le monde. Des figures, des icônes et des anonymes. Des emblèmes de la culture noire. Des victimes sud-africaines de la lesbophobie comme Busi, Buhle. D’autres artistes comme Nina Simone ou Basquiat. Mais de Frantz Fanon à Zanele Muholi, Pauline leur donne cette éternité particulière de sa peinture à l’huile, de ses mains et de son regard. Rencontre.

Je m’appelle Pauline N’Gouala, j’ai 29 ans et à mes heures je fais de la peinture à l’huile. Je fais des portraits. En ce moment, je fais une formation de vitrailliste.

J’ai commencé à dessiner petite. Je reprenais les personnages de Bande dessinée et de dessin animé et j’ai continué jusqu’à l’adolescence. J’ai commencé à l’encre de chine et c’est ce qui m’a appris à peindre. Un jour, j’ai fait le portrait de mon ex à l’encre de chine et elle m’a dit « tu devrais peindre ». Et là, ça fait 5 ans que je peins à l’huile et je fais quasiment que des portraits.

J’ai commencé au niveau local dans les Yvelines dans ma ville, Plaisir, où la municipalité m’a laissé exposer quelques mois dans une salle de concert. Et ensuite j’ai exposé à Paris. J’ai rencontré Zanele Muholi à un colloque et elle m’a proposé de faire son portrait et celui de quelques victimes de crimes lesbophobes ce qui m’a permis d’ancrer mon parcours dans un engagement. Et puis, comme il y’ avait une soirée spéciale Afrique du Sud au sein du Festival Elles résistent via l’association LOCs j’ai pu exposer cette série là-bas. Et puis il y’a eu d’autres occasions comme Afropunk Paris.

MK: Est-ce que quand tu peins tu t’amuses, tu expérimentes ?

Peindre ça fait partie des choses que je préfère faire. Quand je le fais je pense à rien sauf à ce que je suis en train de faire. Ça me fait une espèce de parenthèse, une espèce de bulle… Peut–être que quelque part je m’y refugie. Mais ouais, je m’amuse, ça m’arrive d’expérimenter. J’ai fait deux tableaux où à la place des murs de brique habituels j’ai mis de la bombe rose : je voulais faire une série d’artistes LGBT. J’ai fait Keith Harring, la photographe Estelle Prudent. Mais ouais c’est clair que ça me rend heureuse. Je ne pense pas à ce qui va se dire c’est juste « moi, est-ce que je suis contente de ce que je fais ? Est-ce que j’estime que ce que je fais est bien. Et ça me fait du bien de me sentir douée en quelque chose parce que j’ai pas forcément de diplômes, j’ai pas un boulot lambda dans lequel je m’épanouis donc en fait il me reste la peinture.

MK: Et très tôt tu as fait Frantz Fanon ?

Frantz Fanon c’était un de premiers tableaux. Très jeune j’ai découvert les leaders afro-américains, ou africains comme Patrice Lumumba. Comme j’avais un nouveau moyen d’expression, l’huile, j’ai voulu le faire à l’huile. Et Fanon ça a été ma première vente, je suis fière en fait. J’ai pas lu toutes ses œuvres mais c’est vrai qu’étant passé par la psychiatrie je me sens proche de ce qu’il a pu faire pour les malades psychotiques en Algérie. Il les a libérés de leurs chaines et je me sens proche de son combat ; c’est vraiment cette dimension qui m’a touché chez lui.

MK: Tu peins les inconnues et les icones de la même façon ?

Tu ne connais pas les personnes mais tu t’en sens proche quand même. Par exemple je sais que j’ai ressenti quelque chose de très fort en peignant Jean-Michel Basquiat, je me suis sentie proche de lui. Après justement je pense que je ne fais pas de différence si c’est une personne que je connais, comme une femme avec qui j’ai été en couple ou une très bonne amie, ou quelqu’un comme Zanele. Je suis concentrée sur le portrait, sur l’harmonie des couleurs.

Par contre, il y a aussi une relation émotionnelle forte quand tu parles des victimes. Parce que d ‘une part tu te dis que dans un autre contexte ça aurait pu être toi et d’autre part c’est un combat permanent. Tu es là en train de faire tes tableaux et Zanele continue à t’envoyer des photos parce que d’autres nouvelles victimes viennent de s’ajouter. Tu prends conscience de l’ampleur du fléau et en fait ça fait peur. Et tu te dis que si tu peux exposer ce fléau et montrer jusqu’où va l’homophobie quelque part c’est utiliser la peinture dans une cause noble et ça me donne envie de continuer à le faire. Si ça peut éveiller les consciences. Parce que là on parle de l’homophobie en Afrique du Sud mais c’est toujours une réalité en France.

C’est vrai qu’en général ceux qui me sollicitent c’est la communauté LGBT ou la communauté Afro ou le mix des deux et moi ça me pose pas de problème dans le sens où c’est ce que je suis et où je m’assume. J’ai pas l’impression de m’égarer.

MK : Est-ce qu’il y avait des gens avec une pratique artistique dans ta famille ?

Quand j’étais petite j’ai vu le dessin d’un de mes oncles. Je l’ai vu chez ma grand-mère et il l’avait fait enfant. Et je me souviens précisément de m’être dit que si un enfant était capable de le faire et bien moi aussi j’en étais capable ; j’avais 6 ans. Et c’est là que j’ai vraiment eu le déclic ; à dessiner, à être au plus près de ce que je faisais. Autant j’étais hyperactive mais je pouvais passer des   heures sur mon petit dessin dans mon coin à faire chier personne. Dans ma famille y’a pas forcément d’artistes mais tout le monde me soutient vient à mes expos quand ils peuvent, m’achètent du matériel parce que ça coute cher. Ça fait plaisir… A ma première exposition dans les Yvelines, y’avait vraiment beaucoup de gens de ma famille et c’est super émouvant et tu sens qu’ils sont fiers qu’ils te soutiennent et ça c’est chouette.

MK : Tu citerais qui comme influences ?

J’ai pas une grande culture artistique. Je suis autodidacte ; j’ai pas fait d’école d’arts. J’aime bien me faire une expo de temps en temps. Dans mes peintres fétiches y’a Monnet, Frida Kahlo, Modigliani, dont j’ai fait les 3 portraits) et Basquiat , c’est mon chouchou. Après je suis sensible à la photo. Je suis une grande fan de cinéma. J’écoute beaucoup de sons et d’ailleurs à l’époque tout ce qui était afrocentré, les grands leaders afros, je les avais connus via le reggae en fait parce que t’entendais pas parler de Frantz Fanon à l’école. Après je peux être touchée par ce que font des potes etc.

Le street art ça me parle et c’est nécessaire à la vie urbaine qui peut être triste et c’est vrai qu’a un moment donné mon rêve c’était d’exploiter un mur. Au début je pensais qu’à ça des que je voyais un mur je projetais un portrait géant dessus.

MK : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour le futur ?

J’aimerai bien avoir l’opportunité d’avoir un atelier. Je vais continuer la peinture. Dans ma tête je vois carrément des portraits en vitraux et peintures sur verre. Pour ça il faudrait qu’j’ai à disposition un atelier mais comme je t’ai dit j’ai envoyé ma candidature pour un festival en 2016 ; c’est ça qui est bien avec la peinture, c’est que tu sais jamais ce qui t’attends au tournant et t’as toujours de belles surprises.

Une playlist idéale de Pauline Ngouala pour peindre

Miles Davis “flamenco sketches \so what”
Duke Ellington “fleurette africaine”
Ashanti feat Ja rule “down 4 you”
Total feat Missy Elliot “What about us”
Koffi Olomidé « Elle et Moi »
Gregory Isaacs « Hot Stepper »
The Organ “Brother”
The Police “Darkness”