La Famille et Les Turbulences du Coming Out

Par Uchenna Walter Ude
Illustrations par Aisha Shillingford
Photo Credits: Aisha Shillingford

Faire son coming out peut être une expérience incroyablement libératrice. LibéréE de toutes ces attentes placées sur notre personne par notre famille et nos amiEs; des mensonges que nous racontons pour déjouer les soupçons; des silences que nous opposons aux situations qui diabolisent notre identité; des relations préjudiciables que nous endurons parce que c’est l’un des prix à payer lorsque l’on est encore dans le ​​« placard »; des peurs avec lesquelles nous vivons à l’idée d’être un jour découvertE; du fait de devoir vivre en secret.

Et pour de nombreuses personnes queer, cette liberté est magnifique. Elle fait de nous de meilleures personnes, car nous ne pouvons donner le meilleur de nous même que lorsque nous n’avons plus besoin de cacher qui nous sommes. Elle nous permet de nouer des relations plus honnêtes et de créer autour de nous un environnement dans lequel nous pouvons être des boussoles orientées vers l’humanité des unEs et des autres et loin des préjugés. Pourtant, pour certaines personnes, le coming out est une expérience douce-amère; une combinaison de certaines de ces belles expériences avec d’autres plus éprouvantes. Et pour d’autres encore, le coming out n’est que le début de nouvelles difficultés. Mon coming out a été l’une de ces expériences douce-amères.

J’ai fait mon coming out à ma mère – et, ce faisant, à ma famille – en septembre 2018. En tant que personne qui ne s’est jamais souciée que de l’impact de mes actions sur ma famille immédiate, faire mon coming out m’était très important. Et quand ceci fut chose faite, j’ai refusé d’être retenu par quoi que ce soit d’autre. Je me suis rendu aussi libre que possible, compte tenu des circonstances de la société dans laquelle je vis, en m’exprimant, en utilisant ma vie pour essayer de normaliser ma réalité en tant qu’homme gay.

Et je me retrouve constamment en conflit avec une mère qui a refusé d’accepter la personne que je suis.

J’avais l’habitude de dire à mes amiEs que j’avais toujours pensé que si je faisais mon coming-out, ma mère serait la seule à me soutenir et à m’épauler tellement nous étions proches. Par contre, j’étais convaincu que mon père, qui nous avait élevés à la chicotte, me renierait probablement.

Lorsque je fis mon coming out, l’inverse se produit.

Je me rendis compte que plus mon père vieillissait, plus il devenait flexible. Ainsi, lorsqu’il apprit ma sexualité, sa réaction, après la vague initiale de déception, fut de faire de son mieux pour m’accepter tout en souhaitant et en priant pour un fils qui cesserait d’être gay. Des fois, je l’entendais prier Dieu de me « guérir ». D’autres fois, il me posait des questions sur mon bien-être, mes difficultés, mon passé. Le jour où je lui ai raconté à quel point je me suis senti seul en tant qu’enfant qui commençait à se rendre compte de sa différence, il avait fondu en larmes et m’avait répondu avec angoisse : « Comment ai-je pu ne pas savoir, en tant que ton père ? »

Mon père me parlait parfois du mariage en me disant des choses comme : « Es-tu sûr d’être gay ? Et si tu étais bisexuel ? Là au moins tu pourrais tout de même avoir une femme…»

Mais il lui arrivait également de me poser des questions comme : « Es-tu heureux ? Est-ce que cela te rend heureux ? Y a-t-il d’autres personnes dans ta vie qui savent, qui te soutiennent ? »

Il lui arrivait d’exprimer sa souffrance quant à la réponse qu’il devrait donner lorsque des membres de la famille lui demanderaient pourquoi je tardais à me marier, et sa crainte que mon homosexualité ne soit un jour connue publiquement par d’autres membres de la famille.

Mais il m’écoutait chaque fois que je parlais des droits des homosexuelLEs au Nigeria et du plaidoyer que je menais, répondant toujours avec des encouragements par-ci et des prières par-là.

Mon père ne connaissait rien de mieux, mais la réalité d’un fils homosexuel lui donnait envie de savoir, de comprendre, d’accepter.

Avec ma mère, par contre, c’était une autre histoire.

Elle avait redoublé d’homophobie, tellement enfermée dans sa religiosité qu’elle était convaincue qu’il n’y avait aucune chance que je puisse avoir une bonne vie tant que je prétendrais être gay. Et c’est ce qui rend notre éloignement l’unE de l’autre si triste : le fait que je vois bien qu’elle m’aime, mais elle m’aime si mal.

Au cours des années qui ont suivi mon coming out, nous avons alterné les disputes et les silences. Les rares fois où nous parvenons à nous parler au téléphone sans exploser de colère, nos échanges sont généralement mornes et sans joie, ou tendus et maladroits. Je continue d’attendre qu’elle veuille savoir, qu’elle me demande de lui parler de moi, de comment j’en suis arrivé là – et tout ce que je reçois, c’est une mère qui reste sur la défensive à cause de ce qu’elle croit être mon mépris délibéré de la volonté de Dieu dans ma vie.

Photo Credits: Aisha Shillingford

Lors d’un retour à la maison en 2019, mes parents firent appel à un pasteur pour qu’il prie pour la famille. L’homme de Dieu était censé prier pour la maison dans laquelle nous venions d’emménager, prier pour les efforts de tous les membres de la famille – et prier pour moi.

« Tu vois, frère Emeka », avait dit ma mère alors que nous étions touTEs assisES dans le salon avec l’expression sombre de celleux qui s’apprêtent à se lancer dans l’entreprise sérieuse de la prière, « il y a quelque chose que je demande à Dieu pour mon fils. Cela fait des mois que je demande à Dieu de délivrer mon fils de cette volonté de Satan. J’ai besoin que vous m’aidiez à demander à Dieu de le libérer de cette entrave de l’ennemi. »

Pendant un moment, le pasteur regarda ma mère, s’attendant sans doute à ce qu’elle élabore, qu’elle lui explique de quelle entrave satanique il était censé me délivrer. Il l’avait regardé et elle l’avait regardé en retour, sans rien dire.

Intérieurement, je m’étais mis  à rire, me demandant si je devais céder à la tentation soudaine de dire au pasteur : « Oh monsieur, ce que ma mère veut dire, c’est qu’elle veut que vous priiez pour que je cesse d’être homosexuel. »

Mais je n’avais rien dit.

Et le pasteur avait prié.

Puis, nous avions repris le cours de nos vies, tandis que cet incident devint un nœud de plus dans les tensions croissantes entre un fils qui ne demandait qu’à exister et une mère qui ne l’acceptait pas.

Il y a de la beauté dans le coming out, et je dois parfois me rappeler de me prémunir constamment contre les moments qui me font me perdre. En ceci, je suis capable de choisir à nouveau ma famille, à la fois celle à laquelle je suis liée et celle à laquelle je désire être liée.

Ces dernières années ont été pour moi un voyage de libertés et de frustrations. Je suis toujours reconnaissant pour les circonstances de vie qui ont fait qu’il m’a été relativement facile d’être fièrement et authentiquement qui je suis. Cela m’a permis d’entretenir des relations proches et aimantes avec des personnes à qui j’ai fait mon coming out et qui m’acceptent tel que je suis. Cela explique également comment la première fois que j’ai publié quelque chose de très ouvertement gay sur Facebook, je n’ai pas perdu connaissance malgré les forts battements de mon cœur qui ont suivi après avoir cliqué sur Publier. J’avais réalisé à cet instant que j’avais désormais le droit d’être moi-même sur les réseaux sociaux. Je suis maintenant plus enclin à relationner avec les membres de ma communauté, sans avoir à me soucier des batailles internes sur mon identité. Je peux désormais librement construire des relations avec ces personnes basées sur nos traumatismes partagés et nos parcours individuels vers l’acceptation de soi.

J’ai fait mon coming out et, soudain, tout ce qui m’effrayait, me faisait douter et me dégoûtait de qui j’étais, prit fin.

Mon coming out est devenu un nouveau départ, une occasion de me réaffirmer et de dire à des gens comme ma mère : « ​Oui, je suis gay et il n’y a rien de mal à cela ».  Lorsque j’ai des doutes sur la trajectoire de ma vie, en grande partie dûs aux paroles négatives de ma mère, je m’arrête et je me dis : « Non, cet échec n’a pas été causé par le fait que tu es gay. Ta mère le croit peut-être, mais tu sais que ce n’est pas vrai ». Ou encore : « Tu n’es pas maudit parce que tu es homosexuel, quoi qu’en dise ta mère ».

Il y a de la beauté dans le coming out, et je dois parfois me rappeler de me prémunir constamment contre les moments qui me font me perdre. En ceci, je suis capable de choisir à nouveau ma famille, à la fois celle à laquelle je suis liée et celle à laquelle je désire être liée.

Cela peut être épuisant, mais quelle est alors l’alternative ?