Miss Diva: un espace artistique, culturel et politique pour la communauté trans du Togo

Une conversation avec Kyky Da’Silveira

Propos recueillis par Claire Ba. Photos par YTV Photography

Q-zine a eu la chance de s’entretenir avec Kyky Da’Silveira, la première gagnante du prestigieux concours Miss Diva, un concours de beauté qui réunit des femmes trans* au Togo. En nous accueillant dans son monde, Kyky Da’Silveira partage non seulement son expérience de cet espace qui est aussi culturel que politique, mais elle nous invite également à imaginer un monde dans lequel l’expression culturelle et artistique des communautés LGBTQIA+ d’Afrique et de la diaspora est libre et célébrée.

Alors qui est Kyky Da’Silveira ?

Je suis une activiste togolaise militante des droits humains. Je suis la fondatrice de l’association Big Mama, une association qui promeut le changement face à d’importants obstacles comme la criminalisation du comportement homosexuel et la non-conformité de genre, les arrestations arbitraires, la discrimination, etc. Nous luttons également contre la non-reconnaissance du genre des personnes transgenres, la violence, les restrictions du droit à la liberté d’expression et d’association, le rejet familial et la stigmatisation au sein des communautés.

En 2010, j’ai participé au concours Miss Diva, le premier concours de beauté trans* au Togo et je suis devenue la toute première tête couronnée de ce prestigieux concours pour la communauté. Depuis, je suis l’une des marraines de Miss Diva et à chaque édition, j’accompagne les candidates dans leur préparation. Je suis également la directrice artistique de cet événement.

La première fois que j’ai assisté à un défilé de mode, je devais avoir 6 ou 7 ans. Et je me souviens de l’effervescence, des lumières, des mannequins. Alors je ne peux même pas imaginer l’ambiance de la première édition de Miss Diva. Comment décrirais-tu l’ambiance, les émotions qui étaient présentes ?

Magnifique! La première édition était particulière. L’ambiance dans les coulisses était plutôt studieuse mais sur scène, il y avait beaucoup d’émotions. Nous avions enfin un espace qui était le nôtre. Cette soirée était à la fois un beau spectacle pour les spectateurs-trices et une grande épreuve pour les 14 candidates qui étaient venues de part et d’autre de la sous-région; des femmes toutes aussi belles les unes que les autres. Stylistes, coiffeurSEs, poètes, danseurSEs et technicienNEs étaient touTEs présentEs pour jouer leur part. Costumes, musique, chorégraphies, danse contemporaine, tout y était! Les différentes prestations ont rendu hommage à la diversité culturelle, à l’unité et à l’inclusion de toutes les communautés. C’était vraiment une soirée des fiertés!

Un événement comme Miss Diva, ça se prépare comment ?

Jusqu’à la dernière seconde, l’effervescence y était. Le casting lancé, l’organisation a passé des mois d’acrobatie pour que le concours puisse avoir lieu. Il a fallu inventer, se réadapter et surtout, ne jamais baisser les bras. On a retrouvé les cours de catwalk, enseignés par le brillant Gérard (paix à son âme) qui apprenait aux candidates à défiler et pratiquer la fameuse pose tranche… Tout un art ! Il y avait des filles qui n’avaient jamais défilé sur des talons. Il fallait maîtriser les chorégraphies, les messages de sensibilisation, les quizz de culture générale etc. La préparation était énorme [rires]. Chaque candidate était notée sur sa ponctualité, sa bienséance, son esprit de camaraderie et sa manière de se tenir. Tout ceci était important parce que la jeune femme qui serait élue représenterait la communauté entière. 

L’ONG Espoir Vie Togo nous prêtait ses locaux pour les entraînements et ceux-ci pouvaient durer des heures. Je ne vous fais pas dire les difficultés pour les organisateurs de réunir des fonds et trouver un espace qui accepterait d’abriter un tel évènement. C’était un vrai challenge.

La création d’espaces culturels queer de ce type est importante car elle permet de  . . .  contribuer à la reconnaissance sociale et artistique des membres de notre communauté.

Qu’est-ce qui a motivé l’organisation de cet évènement ? Qui en est à l’origine ?

Je dirais que l’engagement, le besoin de revendiquer pour la reconnaissance sociale d’un groupe stigmatisé par la société faisaient partie des motivations. C’était une manière d’atteindre des objectifs politiques, mais aussi de construire un espace symbolique, un espace culturel loin des préjugés et des comportements hostiles, une affirmation de nos identités, un espace de grande estime de soi. 

À l’origine de cet espace, l’association Men’s avec à sa tête en ce temps-là, un jeune militant ambitieux, talentueux du nom de Gérard qui malheureusement nous a quitté très tôt. J’en profite pour lui rendre hommage. Je suis sûr qu’il doit être fier du travail que nous, activistes de sa génération, avons pu accomplir.

Qu’est-ce qui t’a le plus marqué durant cette expérience ?

La proclamation des résultats! Dans les minutes qui ont précédé mon couronnement, au moment où la présidente du jury devait prononcer le numéro de la gagnante, c’était toute l’assemblée qui criait le numéro du brassard que je portais, et la scène fut vite envahi par le public qui me hissait vers le haut [rires]. Je m’en souviendrai toujours.

Pendant cette expérience, il y a eu une évolution. Et je dirais que j’ai beaucoup mûri aussi car on est amené à rencontrer tellement de gens, à côtoyer des personnes de tout âge, des personnes pour qui j’étais devenue un modèle. C’est vrai que c’est une bonne formation pour la vie. Ça nous fait mûrir et évoluer. Et puis, j’ai beaucoup plus confiance en moi. Ce titre à renforcer mon militantisme.

Quel est l’influence de Miss Diva dans la création d’espaces artistiques et culturels de ce type dans la communauté LGBTQIA+ du Togo?

C’est vrai qu’il y a d’autres espaces culturels similaires au Togo, au sein de la communauté gay par exemple. Je peux citer en exemple des concours de stylisme, de cuisine, de coiffure, et bien d’autres qui se font au sein de la communauté mais ces événements sont à plus petite échelle. Je pense qu’à ce jour, Miss Diva est l’événement le plus attendu et le plus suivi dans la communauté. Je ne saurais dire si les autres espaces qui ont émergé depuis ont été influencés par Miss Diva exclusivement, mais il n’en est pas moins que ces espaces existent, et heureusement d’ailleurs! La création d’espaces culturels queer de ce type est importante car elle permet de rassembler les différences, de s’ouvrir à une pluralité d’identités, mais aussi de contribuer à la reconnaissance sociale et artistique des membres de notre communauté. Pour reconnaître la diversité au sein d’une société, il faut d’abord accepter de la voir et de l’entendre, et nous sommes déterminéEs à continuer à faire entendre nos voix. En 11 ans, nous en sommes déjà à la 4ème édition de Miss Diva et on ne peut qu’espérer que ça aille en s’améliorant.

Justement, puisque tu fais allusion au futur, quelles sont les perspectives pour Miss Diva ? Quels sont les rêves, les ambitions de ce projet pour Demain?

L’une de mes ambitions personnelles pour Miss Diva est que ce concours soit un jour diffusé à la télé et qu’il soit reconnu au même titre que tous les autres événements artistiques et culturels qui ont lieu au Togo. Et pourquoi pas même lui donner une dimension panafricaine?! Mon plus grand rêve serait que Miss Diva devienne un événement annuel qui rassemble des membres de la communauté de toute l’Afrique; que le concours arrive à être délocalisé d’année en année. Ce serait vraiment super! Bien entendu, le contexte social actuel ne le permet pas encore et il y a énormément de travail à faire avant de pouvoir arriver à ce niveau. Mais en attendant, je m’accroche à ce rêve.

Un dernier mot pour nos lectrices-teurs ?

Bien aiméEs, malgré les douleurs, restons debout. Soyons fortEs. Nous sommes de belles personnes, que nul ne vous fasse croire le contraire. Ne nous isolons pas. Embrassons nos différences malgré le regard des autres; malgré celleux qui, sans aucune légitimité, n’acceptent pas qui nous sommes. Et pour les homophobes, sachez que l’amour triomphe toujours face à l’intolérance!