Le Thé Rooibos

Il y a des choses dont je ne saurai me passer et l’un d’eux est mon thé rooibos des après-midi. Serowe, là où nous vivons, est une petite ville poussiéreuse au centre du Botswana qui aura du être connu pour son climat aride, mais qui est plutôt fameux parce qu’elle est la ville où se situe le “Buckingham Palace” du Botswana. Les hivers sont frigides. Je me souviens de mes années d’étudiante, frissonnante, j’allais à l’école suivi qu’une vapeur s’échappa de mes narines, me dépouillant de la chaleur dont j’avais désespérément besoin. Je n’ai jamais voyagé hors du pays. En fait j’ai été hors de Serowe qu’une seule fois, afin de participer à une excursion obligatoire de classe à la capitale, Gaborone. Mais je suppose que c’est que l’on ressent étant à l’étranger, où à en juger par ce que j’ai vu dans les films il fait toujours froid et il neige. Les êtres humains ne sont pas fait pour vivre sous des températures de 10 degrés. Ma mère, dans sa sagesse infinie savait cela et c’est pourquoi, enfant, lorsque je rentrais de l’école les après-midi, elle m’offrait une tasse de thé rooibos pour me réchauffer.

La grâce salvatrice de Serowe c’est que l’été est également dure que l’hiver, au moins une chose que j’adore. Les après-midi sont torrides et aucun travail ne peut éventuellement être fait. Le seul remède est d’étaler un tapis de peau de vache sous un acacia, siroter du thé rooibos et se laisser emporter par le sommeil. Pour un breuvage chaud, il est toujours rafraichissant même sous la chaleur étouffante de Serowe

Ma mère me disait rarement qu’elle m’aime, mais chaque fois que nous nous sommes assises ensemble pour pendre une tasse de thé rooibos, je me sentais aimée. J’étais convaincue que même si je tombais enceinte, elle ne me reniera pas ou ne se plaindra pas du déshonneur que j’apportais dans la famille. Son amour me mettait en sécurité et je voulais, non, j’étais déterminée à léguer ce genre d’amour à mes enfants.

Les années passèrent, je grandi et ma mère décéda; mais son héritage d’amour vit toujours. Tout comme ma mère, je fis du thé rooibos pour mon enfant. Je le bois pendant que je discute avec Thato, la prunelle de mes yeux, le fruit de l’amour que Fred et moi partageons depuis notre mariage juste après avoir obtenu nos diplômes secondaires, il y a 18 ans . Thato est plus qu’un fils pour moi, il est la preuve que l’amour existe vraiment. Nous nous sommes rencontrés, son père et moi à l’école primaire et nous nous sommes aimés depuis ce temps, et maintenant à 17 ans, Thato est un témoignage de cet amour inconditionnel.

“Quel que soit la personne dont tu tomberas amoureux et avec laquelle tu décideras de passer le reste de ta vie, il doit juste aimé boire du the rooibos, c’est tout”

Apres l’école, tout comme ma mère l’avait fait toutes ces années avec moi, je fais du thé rooibos pour Thato, pour le réchauffer en hiver et le rafraichir pendant la chaleur de l’été. Un après- midi, j’avais pris ma première gorgée de rooibos, je la tournoyais doucement dans ma bouche. J’avais besoin de plus de sucre. Je tendais la main pour prendre la cuillère mais elle s’arrêta en plein air. Thabo avait fondu en larmes, hurlant comme un cochon sauvage qu’on étranglait à mort. Un sentiment de culpabilité me frappa. Pourquoi pleurait-il? Qu’avais-je manqué? Avais- je fait quelque chose de mal?

Juste quelque seconds auparavant, nous étions en train de plaisanter. Je le taquinais sur le fait que je serais une belle-mère terrible; parce que je l’aime tellement que je ne pourrais certainement pas le partager avec une autre femme. Au Botswana, les femmes mariées sont connues pour leurs relations brisées avec leur bo-matswale, et je n’allais pas être une exception.

Est ce qu’il pensait que j’étais sérieuse? J’étais certaine que je ne m’entendrais pas avec sa femme quand il se marierait finalement mais je n’allais pas être une mauvaise belle-mère.

“Thato, qu’est ce qui ne va pas?” Demandais-je. Ressemblais-je vraiment à ce genre d’ogre qui rendrait la vie misérable à sa pauvre belle-fille juste pour lui montrer que son mari était toujours mon gros bébé? Il y a beaucoup de vieilles femmes autoritaire dans le village mais je ne me suis jamais vu comme étant l’une d’elles.

Il arrêta de sangloter, mais garda ses mains sur son visage. “Maman, il n’y aura pas de femme a qui tu t’en prendras…” Puis il sanglota encore plus fort. “Maman, je suis gay.”

Je le fis se taire rapidement, pas certaine si je le consolais ou tout simplement essayais de le faire cesser ces sons insupportables. Je le pris dans mes bras. En ce moment, un film défila dans ma tête. Quels étaient les signes que j’avais ratés? Certes, Il avait beaucoup d’amies, mais je pensais que c’était parce qu’il était charmant, ‘un coureur’ comme le disent les jeunes de nos jours. Il aimait cuisiner, mais il faisait aussi du sport, et il n’a jamais vraiment été soucieux de la mode.

Je pensais au mariage qui n’aura jamais lieu. Je suppose que je vais devoir trouver une autre excuse pour m’acheter une robe de marque et rendre les voisins jaloux…

Mais attendez, peut-être qu’il épousera un homme. Un homme bien. Ou même un styliste qui me fera une belle robe à porter à leur mariage. Je serais la plus belle femme à son mariage.

Je l’enlaçai très fort. Oui, je n’aurai jamais à le partager avec une autre femme. “Bébé, ça n’a pas d’importance”, je me suis entendu dire, “je t’aimerais toujours”. Et après tout si j’avais su qu’il était gay étant enfant, ne l’aurais-je pas aimé? Bien sûr que si, je l’aurais aimé et élevé exactement comme je l’ai fait durant ces 17 dernières années.

“Quel que soit la personne dont tu tomberas amoureux et avec laquelle tu décideras de passer le reste de ta vie, il doit juste aimé boire du the rooibos, c’est tout”

Il laissa échapper un autre cri affreux, cette fois-ci, un mélange de rire et de grognement de cochon.

J’attrapai ma tasse et but une gorgée copieuse de thé rooibos. Rien n’avait changé. Il avait toujours besoin de plus de sucre.