Famille Inconditionnelle

Une conversation avec Zaina Kashega

Photos et Propos recueillis par Ruth Lu

Parmi les mots associés à la famille, il y a l’amour, le soutien, la solidarité, et bien plus. Bien entendu, telle n’est pas l’expérience de touTEs, et à la famille peuvent également être associés d’autres mots comme la déception, l’abandon, le rejet. Dans les lignes qui suivent, découvrez l’engagement sans faille de la militante Zaina Kashega pour la communauté LGBTQ+ auprès de laquelle elle s’est trouvée une famille “inconditionnelle”. Avec Q-zine, elle s’ouvre également sur ses différentes expériences de la famille et sur ses aspirations pour fonder une famille avec sa partenaire.

Photo credits: Ruth Lu

Est-ce que tu pourrais te présenter à nos lectrices-teurs ?

Je m’appelle Zaina Kashega. Je suis militante et je travaille contre la stigmatisation, la discrimination, les violences et tout ce qui a trait à la violation des droits humains. Je suis membre des associations Jeunialissime et House of Rainbow. House of Rainbow est une organisation qui œuvre à la conciliation de la spiritualité et de la sexualité des personnes LGBTQ+. Nous travaillons avec les leaders religieux parce que nous avons compris qu’ils sont la source de rejet des personnes LGBTQ+ au sein de plusieurs familles. Les pasteurs, les imams etc. détiennent une place importante dans la vie de leurs adeptes, alors quand ils prêchent la haine envers les personnes LGBTQ+, ceci a une incidence sur la manière dont les parents, les familles, traitent leurs enfants LGBTQ+ une fois qu’ils découvrent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Les enfants sont rejetés, chassés de la famille. Alors nous nous sommes dit qu’il fallait aller vers la source: les personnes qui prêchent ces messages, qui prônent la haine, etc.

Au sein de Jeunialissime, je suis cheffe de projet et je dirige un projet qui s’appelle Talents Pluriels qui a pour but d’autonomiser les jeunes LGBTQ+ en matière d’entrepreneuriat, de recherche d’emplois. Nous travaillons avec des entreprises et des organisations de la place pour les sensibiliser sur l’inclusion et la diversité sexuelle. Jeunialissime travaille également à la sensibilisation et à l’éducation des jeunes LGBTQ+ et de la société en générale sur l’inclusion, la diversité, le respect des droits humains, et œuvre à l’amélioration de la qualité de vie de la personne LGBTQ+.

Comment as-tu atterri à Jeunialissime ?

Quand je faisais mes études, j’ai eu le privilège de pouvoir faire mon coming out, si je peux dire ça comme ça. Ma famille pensait que c’était un caprice alors mes parents ont continué à payer mes études, ce qui m’a permis de terminer mon éducation. C’est par la suite qu’ils se sont rendus compte que ce n’était pas un caprice. Ils voulaient que j’aille plus loin dans les études, alors ils ont quand même continué à payer mes études à Kampala, en Ouganda pour que je développe mon anglais, dans le but que j’aille ensuite au Canada. Cependant, ils sont arrivés à la conclusion que si je partais au Canada, ce serait encore plus grave [faisant référence à sa sexualité, ndlr] donc ils m’ont fait revenir au Congo. C’est à ce moment-là que le rejet a réellement commencé à se faire sentir. Les regards de mes frères et sœurs, les médisances sur moi commençaient à me déranger. Alors j’ai décidé que je n’allais pas les déranger et leur imposer ma personne. C’est comme ça que je suis partie à l’aventure dans une ville ou je ne connaissais personne.

Comme j’avais étudié le droit, j’avais décidé d’utiliser cette opportunité pour tenter ma chance en passant le concours de la magistrature, mais je ne recevais pas de réponses. Alors j’ai commencé à chercher à faire autre chose et je suis rentrée en contact avec une amie qui m’a orienté vers l’association Oasis. C’est comme ça que je suis entrée en contact avec l’activisme pour la première fois. C’est plus tard que Jeunialissime a fait appel à moi. À l’époque, l’organisation n’était pratiquement composée que d’hommes gays et ils avaient besoin d’une personne lesbienne pour certains de leurs projets alors ils ont fait appel à moi.

Pour le concours de magistrature, cela fait trois ans et toujours rien. Ils ont relancé ça récemment et lorsque les candidatures seront ouvertes, j’irai passer le concours. Qui sait, je serais peut-être la première femme ouvertement lesbienne à la magistrature du Congo (rires).

Avec ce parcours, que dirais-tu avoir appris sur toi-même en intégrant l’association Jeunialissime?

Je dirais que je ne savais pas que j’étais si activiste, si je peux dire ça comme ça. Je savais que j’avais horreur de l’injustice mais je ne m’étais jamais rendue compte à quel point. C’est en travaillant dans une association qui m’a permis d’aller à la rencontre de personnes victimes de violence, de beaucoup d’injustice, que j’ai découvert ma haine vis-à- vis de l’injustice.

Travailler au sein de ma communauté m’a également permis de me rendre compte que ma famille biologique n’arrivait pas à répondre à certains de mes besoins. Arriver dans un milieu où il y a des personnes que je peux aujourd’hui appeler ma famille, des personnes qui me ressemblent, a été quelque chose de merveilleux. Apprendre à travailler dans un monde où je me sens épanouie, dans lequel personne ne se soucie des vêtements que je porte ou des personnes que je fréquente, où la seule chose qui importe est le travail que j’apporte dans la communauté, c’est quelque chose qui m’a marqué positivement. Et je peux même dire que les structures LGBTQ+ sont les premières structures à m’avoir donné un vrai travail. Avant ça, j’étais dans l’entrepreneuriat, je me débrouillais dans les petits business mais malgré mes diplômes, je n’arrivais pas à décrocher un emploi. Oasis, House of Rainbow et Jeunialissime sont des structures qui m’ont ouvert leurs portes et m’ont donné une chance de prouver de quoi je suis capable.

Pourrais-tu nous parler un peu plus de comment ton travail au sein des organisations LGBTQ+ a façonné ta conception de la famille ?

Aujourd’hui, ma conception de la famille est loin d’être celle que j’ai eu pendant longtemps. Avant, je pensais que la famille consistait aux personnes avec qui j’avais des liens de sang. Avec le temps, j’ai compris que la famille c’est bien plus que ça. Aujourd’hui, je conçois la famille comme étant les gens qui t’acceptent sans jugement; les personnes qui t’acceptent tel que tu es, qui adhèrent à tes valeurs, qui t’accompagnent à réaliser les choses qui te tiennent à cœur, qui t’accompagnent à militer pour des causes qui te tiennent à cœur. La famille ne te juge pas. Beaucoup pensent qu’être en famille signifie être en compagnie de personnes qui s’identifient comme soi, qui nous ressemblent. Mais j’ai compris que la famille, c’est accepter l’autre inconditionnellement. La personne n’a pas besoin de faire telle ou telle chose pour que je l’accepte. La famille, c’est faire l’effort de comprendre la personne qui est en face de toi, et l’accepter telle qu’elle est, sans conditions.

La communauté LGBTQ+ est cette famille que j’aurais bien voulu avoir quand j’avais 10, 11 ou même 18 ans. Cela m’aurait évité de faire beaucoup d’erreurs et m’aurait aidé à être plus concentrée, ce qui aurait été beaucoup plus avantageux pour moi et pour ma communauté. Grandir en ne comprenant pas vraiment qui j’étais m’a désorienté par moment et me donne parfois le sentiment d’avoir découvert ma famille un peu “tard”, mais maintenant je me rattrape. D’ailleurs, je décrirais mon engagement pour la communauté LGBTQ+ comme étant au point où je serais prête à mourir pour la communauté au même titre que pour ma famille de sang. J’ai déjà été arrêtée, non pas à cause de mon travail activiste, mais parce que mon expression de genre dérangeait certaines personnes.

Aujourd’hui, qui considères-tu comme étant membres de ta famille ?

Tout d’abord, ma famille de sang. C’est celle que l’on ne choisit pas et je suis profondément reconnaissante à leur égard, en particulier, ma grande sœur qui a été d’un grand soutien et qui m’a permis de me défaire de mes complexes.

Ensuite ma partenaire. Elle a commencé l’activisme bien avant moi sans même se rendre compte que ce qu’elle faisait était de l’activisme. Puis elle a arrêté pendant un moment. C’est depuis qu’elle est avec moi qu’elle a repris goût au travail communautaire et elle est déterminée à apprendre et à s’améliorer. Quand il y a des activités communautaires, elle est toujours là. Elle m’accompagne de la manière dont j’ai toujours rêvé d’être accompagnée par une partenaire. Il y a aussi mon chef, mon boss. Je le considère presque comme le papa que je n’ai pas eu, et pourtant il n’est pas si âgé que ça. Il est un chef, un ami, un frère, une figure paternelle, et tellement plus. Et puis, il y a les autres membres de la communauté que je considère comme des frères et sœurs. On se saoule mutuellement, on se dispute, mais on finit toujours par arranger les choses. Mais ma famille number one, c’est ma partenaire.

Et comment envisages-tu la construction d’une famille à toi, avec des enfants par exemple, gardant à l’esprit le fait que la PMA n’est pas nécessairement accessible aux personnes LGBTQ+ au Congo?

Ma famille, je l’envisage d’abord comme étant composée de ma femme et moi. J’aime beaucoup les enfants mais pas au point d’en avoir de moi-même. Je ne m’imagine pas tomber enceinte. C’est quelque chose que je ne conçois pas du tout. Et cela n’a rien avoir avec le fait d’être lesbienne. Je ne m’imagine juste pas traverser tous ces changements avec mon corps juste pour avoir un enfant. Mais si ma femme le désire, je suis ouverte à ce qu’elle porte notre enfant. Je ne la forcerai pas. Si elle veut avoir un enfant et veut le porter ou si elle est ouverte à l’adoption, c’est une possibilité que l’on peut explorer ensemble.

C’est important de savoir qu’il y a très peu de lesbiennes ici qui s’assument à 100%. Même lorsqu’elles sont indépendantes, beaucoup sont convaincues que pour faire un enfant, il faut forcément coucher avec un homme. Et il y a d’autres qui ont tellement peur de leur famille qu’elles ont toujours un mec à côté qu’on appelle en lingala “mufiniko” qui est en quelque sorte une couverture sociale. Donc de nombreuses lesbiennes passent par ce circuit, ont des relations avec des hommes, pour fonder leur famille.

Si je devais fonder ma famille, on le ferait avec un homme gay mais je n’aimerais pas que quelqu’un couche avec ma meuf. Je ne sais pas si vous connaissez ce que l’on appelle les bébés seringues. C’est essentiellement l’insémination artificielle. Donc si on n’a pas d’argent pour aller à l’étranger et concevoir notre enfant, on fera nos petits “bébés seringues”. Et bien entendu, si l’homme gay en question veut faire partie de la vie de l’enfant, c’est envisageable. Il pourra être présent en tant que tonton, ou même en tant que père s’il le désire, mais ce sera notre enfant à nous, à ma femme et moi. On ne lui demandera rien en retour. Et ce sont des conversations qui auront lieu au préalable.

Photo credits: Ruth Lu

Si tu pouvais choisir quatre personnes pour faire partie de ta famille dans ta prochaine vie, qui choisirais-tu et pourquoi?

La première personne serait mon papa parce qu’il est parti très tôt, et j’ai toujours été convaincue que s’il était là, il m’aurait compris et m’aurait peut-être mieux orientée. Je pense qu’il m’aurait accepté et aurait permis que je sois acceptée dans la famille.

La deuxième personne serait ma maman parce qu’elle est géniale. Elle ne m’a pas rejetée quand elle a découvert mon homosexualité. Je suis de tribu swahili, et chez nous, venir dire à un parent “maman, j’aime les femmes” c’est impensable. C’est vouloir sa mort en quelque sorte. Et pourtant je l’ai fait. Ma famille savait déjà que j’étais une personne à fort caractère et lorsque j’ai fait mon coming out, ma maman m’a répondu “oui, je savais. J’avais peur pour toi parce que je sais que les choses ne seront pas faciles dehors”. Venant d’une femme qui n’a pas fait de longues études, c’était fort pour moi.

La troisième personne…hmmm, bien que j’aie été rejetée par ma famille, il y a quand même des personnes que j’aime bien et que j’aimerai revoir dans ma prochaine vie (rires). Mais bon, disons que la troisième serait une ex. Mais c’est une ex qui m’a vraiment permis de découvrir toute la beauté d’être avec une femme.

Et enfin, la quatrième personne que je choisirais serait ma femme!