Homoparentalité : La Révolution par l’Amour

Par Régis Samba-Kounzi

« Un peuple qui ne connaît pas son passé, ses origines et sa culture ressemble à un arbre sans racine. »  Marcus Garvey

Photo credits: Regis Samba-Kounzi

La modernité dans les sociétés africaines et occidentales reste marquée par la traite esclavagiste et la colonisation, en dépit des abolitions. En analysant l’expérience des hommes et femmes noirEs sous l’esclavage et la colonisation afin de mettre à jour les formes de violence particulières auxquelles iels faisaient face, on peut noter que les personnes esclavagées étaient historiquement la figure de l’anti-parentalité, l’anti-parent par excellence. Aujourd’hui, refuser officiellement la reconnaissance de la parentalité homosexuelle relève de cet héritage de la déshumanisation, à condition de ne pas adopter de définition restrictive du phénomène.  De même, un des plus vieux héritages des dites « traditions africaines » sur le continent se matérialise également sous le sceau du silence, l’invisibilisation et l’effacement, ces notions qui parfois conduisent à favoriser et masquer des réalités sociales et les inégalités de vie. C’est sous cet angle mort de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation que je voulais associer et faire des analogies avec nos expériences familiales minoritaires et contemporaines.

La violence des rapports sociaux de domination en raison de la race, de la couleur de peau, de la classe, du genre, du handicap, de l’orientation sexuelle ou de la religion que subissent les hommes et les femmes minoritaires est universelle et ce, quel que soit l’espace géographique où ils et elles vivent. L’une des fonctions de l’exercice du pouvoir est de contraindre les citoyenNEs à suivre des normes. L’une de ses dérives est l’application d’injonctions et de règles déshumanisantes sous couvert d’intérêt général. C’est ce qui conduit des États ou des sociétés hétéropatriarcales à imposer aux minorités sexuelles et de genre l’interdiction d’exister, et à fortiori de faire famille. Usant de tous les moyens d’instrumentalisation pour nous stigmatiser, nous pathologiser, nous discriminer, nous inculquer un sentiment de honte de nous-mêmes par l’intériorisation d’une pseudo-indignité et infériorité. Nous, AfricainNEs subsaharienNEs, n’avons pas attendu l’esclavage et la colonisation des européens pour expérimenter la violence. Et bien que l’esclavage coutumier ne soit pas comparable à l’esclavage colonial – massif, systémique et racialisé – il demeure un acte de déshumanisation.

J’ai compris à travers ma propre enfance ce qu’était l’expérience de la domination telle que les adultes peuvent l’exercer, et notamment lorsqu’on est différent de la norme qu’iels vous ont choisie. Il m’a donc fallu faire preuve de résilience tôt, apprendre à transgresser quand c’était possible, et à mon tour bâtir ma propre famille homoparentale ; avec le désir de faire différemment. Et tout cela avec la nécessité de lutter publiquement, afin de donner à d’autres personnes dans la même situation, un sentiment de dignité, et de témoigner de l’importance de la famille et de l’enfance dans le parcours d’un individu. Les racines familiales sont extrêmement importantes. Et je garde à l’esprit que je suis privilégié, même si le chemin reste long et ardu.

Avec le recul, et du plus loin que je me souvienne (au moins les années 80), que ce soit en France, au Zaïre ou au Congo-Brazza, il y a toujours eu, dans mon environnement, des personnes que je pouvais relier à des minorités sexuelles. Toutes ne s’identifiaient pas de cette façon, mais certainEs ont franchi le pas. Et, la majorité de ces personnes sont, aujourd’hui, parents. Ce que je veux dire, c’est que l’homoparentalité, en Europe comme en Afrique, n’est pas une nouveauté. Ce qui est nouveau, c’est la visibilité. C’est le fait que cela soit devenu un sujet politique et visible comme tel dans l’espace publique, notamment dans l’hémisphère nord, en Afrique du Sud et en Amérique du Sud.

Photo credits: Regis Samba-Kounzi

Je suis devenu homoparent à la fin des années 80, j’avais 19 ans. Ma fille, Lolita, est née d’une relation sexuelle classique, avec une jeune femme hétérosexuelle. Il n’y avait pas de « projet » de parentalité. C’était, comme on dit, un « accident ».  Mais c’est ma honte d’être homosexuel qui m’a poussé à avoir cette aventure. Je voulais prouver à mon entourage que j’étais hétérosexuel. Je suis tombé dans le piège du déni. J’ai aussi pris brutalement conscience des dangers auxquels je m’étais exposé, uniquement poussé par la pression familiale, sociale et le besoin humain d’être accepté des autres. Et, les premières questions s’inquiétaient de savoir si en plus d’une future naissance, j’avais pu contracter ou transmettre le VIH.

Des tas d’interrogations vont, après coup, m’obséder. À l’époque, il n’y avait aucun traitement. Le sida était une sentence de mort. Ce qui est encore le cas aujourd’hui dans certaines régions, notamment en Afrique, pour les millions de personnes qui n’ont pas accès aux médicaments par manque de financements, mais surtout faute de volonté politique. Des membres de ma famille étaient séropositifs et sidéens. CertainEs salariéEs de ma mère étaient également malades. J’ai alors décidé de m’engager, mais sans imaginer que cela deviendrait le combat de ma vie, que cela me conduirait à Act Up-Paris, une association de lutte contre le sida issue de la communauté homosexuelle. Jeune adulte, ce qui m’intéressait c’était l’agriculture et les questions de souveraineté alimentaire en Afrique, comme mes héros d’alors, Paul Panda Farnana, agronome et nationaliste congolais, et Amilcar Cabral, révolutionnaire bissau-guinéen et cap-verdien. Ce que j’ai surtout compris, c’est l’importance de porter mes propres rêves et de faire respecter mes choix.

J’arrive à Act Up en 2000, et c’est au sein de cette structure que j’ai finalement créé ma famille choisie. En 2003,  Claire, Julien et moi, alors militantEs et salariéEs de l’association, évoquions pour la première fois le désir d’avoir un enfant. Notre projet parental a pris le temps de mûrir. Et deux ans plus tard naissait notre fils Tiago, conçu par insémination artisanale. Concevoir notre enfant dans ces conditions était illégal et passible de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Le système déshumanisant dans lequel nous vivions n’a pas pu nous empêcher de nous en extraire comme d’autres avant nous.

Photo credits: Regis Samba-Kounzi

Notre famille homoparentale montre tout simplement que des trajectoires d’individus ont toujours fait fi des injonctions de la société, et que rien n’abolit la volonté, le désir de maternité et de paternité, y compris pour les homosexuelLEs ou les personnes trans. Le système ne peut pas abolir ce qu’on appelle aujourd’hui l’agentivité, c’est-à-dire notre faculté d’être des actrices et des acteurs de nos propres vies. Et, contrairement à ce qu’on pourrait penser à priori, le désir de fonder une famille homoparentale ne signifie en rien vouloir adhérer par mimétisme à l’hétéronormalité. Il s’agit simplement de vouloir élever des enfants, et de leur transmettre des valeurs révolutionnaires qui visent à briser la logique totalement construite d’une famille unique et classique que l’humanité tout entière devrait prendre pour modèle. Nous apprenons à notre fils à être libre, à développer son sens critique, à se faire respecter. Sa conception même était un cri de liberté. Il est issu d’une famille composée de personnes profondément libres, qui ont usé de ce droit d’être soi, en faisant preuve de désobéissance civil, en défiant une loi injuste, en refusant les préjugés et les qu’en-dira-t-on qui empêchent de dire la vérité, et en ayant un discours public sur le sujet, sans honte, et sans se soucier d’une respectabilité dont on se contrefout royalement. Que nos familles soient visibles ou invisibles, lorsqu’elles prennent en compte dans l’éducation des enfants, l’ouverture d’esprit vers des imaginaires réparateurs, à travers les principes d’équité, d’égalité des droits et de diversité des familles, d’acceptation des différences, bref, d’autres manières d’habiter le monde, elles font et participent à transmettre nos expériences personnelles et intimes, et en font un monde de dignité humaine.

À partir de cette expérience, j’ai voulu faire de la photographie de création une lutte contre l’effacement de nos vécus, à travers la production des savoirs situés et la transmission générationnelle de la mémoire des outils d’empouvoirement et d’agentivité. La série « Bolingo », débutée en 2010, est née de ce désir de rompre le silence et se battre contre l’invisibilité. Se réapproprier l’art comme je me suis réapproprié ma sexualité, ma famille et la politique. Donner à voir des moments simples mais chargés en émotions, avec nos proches, nos familles, de sang et surtout de cœur. Il était nécessaire pour moi de dénoncer le mensonge, preuve que la légalité est affaire de pouvoir, non de justice. C’est parce que nous avons un ordre dominant homophobe, transphobe, et hypocrite que nous nous retrouvons avec un article de loi liberticide visant les familles homoparentales dans la constitution du Congo-Kinshasa. S’il y avait une vraie justice et si on était dans un pays démocratique, jamais cet article existerait. Si les arts et la culture ont éveillé ma conscience sociale et politique, qu’ils ont changé mon regard sur notre société et sur ses inégalités, alors ils le peuvent sur tout le monde. Le rôle de l’artiste et de la/du militantE, de l’artiviste est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde dans lequel nous vivons et que personne ne puisse prétexter l’ignorance. L’art et la photographie permettent d’exposer, de briser le silence, de donner un visage à des personnes exclues, dont on n’est pas censé parler, dont on ne veut absolument pas parler, que l’on veut invisibiliser. Le simple fait de se raconter, de décrire nos blessures, quelles qu’elles soient, rend hommage à nos parcours cabossés et souligne que de multiples possibles sont à notre disposition. Il est fondamental de s’en emparer. Me réapproprier la narration m’a aidé à commencer le chemin vers la compréhension de ma propre histoire, au-delà des séries photos produites.

Photo credits: Regis Samba-Kounzi

Bibliographie 

Aurélia Michel, Un monde en nègre et blanc. Enquête historique sur l’ordre racial, Paris, Seuil, « Points », 2020.

Homoparentality: A Revolution Through Love

By Régis Samba-Kounzi

“A people without knowledge of their past history, origin and culture is like a tree without roots.”  Marcus Garvey

Photo credits: Regis Samba-Kounzi

Despite abolition, African and Western societies remain marked by the transatlantic slave trade and colonization. When analyzing the experience of black men and women under slavery and colonization to uncover the particular forms of violence they faced, it can be noted that enslaved people were historically the figure of anti-parenthood; the anti-parent par excellence. Today, officially refusing to recognize same-sex parenthood is part of this legacy of dehumanization, provided we do not adopt a restrictive definition of the phenomenon. Similarly, one of the oldest legacies of the so-called “African traditions” on the continent is also materialized under the seal of silence, invisibilization and erasure, notions that sometimes lead to favoring and masking social realities and inequalities. It is from this angle on the history of slavery and colonization that I want to associate and make analogies with our contemporary family experiences as minorities.

The violence of social relations of domination on the basis of race, color, class, gender, disability, sexual orientation or religion experienced by minority groups is universal, regardless of geographic location. One of the functions of the exercise of power is to force individuals to follow norms. One of its drifts is the application of dehumanizing injunctions and rules under the guise of public good. This explains how states or heteropatriarchal societies enforce, on sexual and gender minorities, the prohibition to exist, and a fortiori, to build their own family, using any and all means to stigmatize us, pathologize us, discriminate against us, and instill in us shame about ourselves through the internalization of a pseudo-indignity and inferiority. We, sub-Saharan Africans, did not wait for slavery and European colonization to experience violence. And although customary slavery is not comparable to colonial slavery – massive, systemic and racialised – it remains an act of dehumanization.

I understood through my own childhood what it was like to experience domination as could be exercised by adults, especially when you are different from the norm they have chosen for you. So, I had to show resilience early on, learn to transgress when possible, and in turn build my own homoparental family; with the desire to do things differently, and the need to fight publicly, to give others in similar situations a sense of dignity, and to bear witness to the importance of family and childhood in one’s journey. Family roots are extremely important and I am reminded of how privileged I am, even though there is still a long way to go.

Looking back, as far as I can remember (at least the 1980s), whether in France, Zaire or Congo-Brazzaville, there have always been people in my environment whom I could associate with sexual minorities. Not all of them identified in this way, but some dared to take the leap. And the majority of these people are now parents. What I mean is that homoparenting, in Europe as in Africa, is not new. What is new is visibility; it is the fact that it has become a political issue and visible as such in the public arena, especially in the global north, in South Africa and in South America.

Photo credits: Regis Samba-Kounzi

I became a homoparent in the late 80s, when I was 19. My daughter, Lolita, was born of a classic sexual relationship with a heterosexual woman. There was no “plan” of parenthood. It was, as they say, an “accident”. But it was my shame at being homosexual that pushed me to have this adventure. I wanted to prove to those around me that I was heterosexual. I fell into the trap of denial. I also became brutally aware of the dangers I had exposed myself to, driven only by family and social pressure and the human need for acceptance. And the first questions were whether, in addition to a future birth, I could have contracted or transmitted HIV.

A lot of questions would obsess me later on. At that time, there was no treatment. AIDS was a death sentence. And this is still the case today in some regions, particularly in Africa, for the millions of people who do not have access to medication due to lack of funding, but above all lack of political will. I had family members who were HIV-positive and had AIDS. Some of my mother’s employees were also sick. It was then that I decided to get involved, without imagining that it would become my life purpose, that it would lead me to Act Up Paris, an anti-AIDS association founded by the homosexual community. As a young adult, I was interested in agriculture and food sovereignty issues in Africa, like my heroes at the time, Paul Panda Farnana, a Congolese agronomist and nationalist, and Amilcar Cabral, a revolutionary from Guinea-Bissau and Cape Verde. But most of all, what I had come to understand was the importance of carrying my own dreams and making my choices respected.

I joined Act Up in 2000, and it was in this organization that I finally created my chosen family. In 2003, Claire, Julien and I, then activists and employees of the association, spoke for the first time about the desire to have a child. Our parental project took time to mature. And two years later, our son Tiago was born, conceived via home insemination. Conceiving our child under these conditions was illegal and punishable by two years in prison and a 30,000 euro fine. The dehumanizing system in which we lived could not stop us from freeing ourselves like others before us.

Photo credits: Regis Samba-Kounzi

Our homoparental family simply shows that individual trajectories have always flouted society’s injunctions, and that nothing abolishes the will, the desire for parenthood, including for homosexuals or trans people. The system cannot abolish agency, our ability to be actors of our own lives.

And, contrary to what one might think, the desire to build a homoparental family does, in no way, mean wanting to adhere by mimicry to heteronormativity. Rather, it is about wanting to raise children, and transmit revolutionary values to break the constructed idea of a one-size-fits-all, classic family that all of humanity should model. We are teaching our son to be free, to think critically, to be respected. His very conception was a cry for freedom. He comes from profoundly free people; people who exercised their right to be themselves by demonstrating civil disobedience, by defying an unjust law, by refusing the prejudices and the “what-ifs” that prevent the truth from being told, and by having a public discourse on the subject, without shame, and without giving a damn about respectability. Whether our families are visible or invisible, when they foster, through children’s education, open-mindedness towards restorative imaginations through principles of equity, equal rights and diversity of families, acceptance of differences, in short, other ways of inhabiting the world, they participate in the transmission of our personal and intimate experiences, and transform the world into a world of human dignity.

From this experience, I wanted to use creative photography as a tool to fight against the erasure of our experiences, through the production of situated knowledge and the generational transmission of the memory of empowerment and agency tools. The “Bolingo” series, started in 2010, was born from this desire to break the silence and fight against invisibility; to reclaim art as I have reclaimed my sexuality, my family and my politics; to show simple but emotionally charged moments, with our loved ones, our families, of blood and of heart. It was necessary for me to denounce the lie, proof that legality is a matter of power, not of justice. It is because we have a homophobic, transphobic and hypocritical dominant order that we end up with a liberticidal law targeting homoparental families in the Congo-Kinshasa constitution. If there was real justice and if we were in a democratic country, such an article would never exist. If the arts and culture have raised my social and political consciousness, if they have changed my view of our society and its inequalities, then they can do so for everyone. The role of the artist and the activist, of the artivist, is to make sure that no one ignores the world we live in and that no one claims ignorance. Art and photography make it possible to expose, to break the silence, to give a face to marginalized people; those whom we are not supposed to talk about, whom we absolutely do not want to talk about, whom we want to make invisible. The simple fact of talking about ourselves, of describing our wounds, whatever they may be, pays tribute to our dented paths and underlines that multiple possibilities are available to us. It is essential to seize this opportunity. Reclaiming the narrative has helped me to begin the journey towards understanding my own story, way beyond the photo series I produced.

Photo credits: Regis Samba-Kounzi

Bibliography

Aurélia Michel, Un monde en nègre et blanc. Enquête historique sur l’ordre racial, Paris, Seuil, « Points », 2020.

Famille Inconditionnelle

Une conversation avec Zaina Kashega

Photos et Propos recueillis par Ruth Lu

Parmi les mots associés à la famille, il y a l’amour, le soutien, la solidarité, et bien plus. Bien entendu, telle n’est pas l’expérience de touTEs, et à la famille peuvent également être associés d’autres mots comme la déception, l’abandon, le rejet. Dans les lignes qui suivent, découvrez l’engagement sans faille de la militante Zaina Kashega pour la communauté LGBTQ+ auprès de laquelle elle s’est trouvée une famille “inconditionnelle”. Avec Q-zine, elle s’ouvre également sur ses différentes expériences de la famille et sur ses aspirations pour fonder une famille avec sa partenaire.

Photo credits: Ruth Lu

Est-ce que tu pourrais te présenter à nos lectrices-teurs ?

Je m’appelle Zaina Kashega. Je suis militante et je travaille contre la stigmatisation, la discrimination, les violences et tout ce qui a trait à la violation des droits humains. Je suis membre des associations Jeunialissime et House of Rainbow. House of Rainbow est une organisation qui œuvre à la conciliation de la spiritualité et de la sexualité des personnes LGBTQ+. Nous travaillons avec les leaders religieux parce que nous avons compris qu’ils sont la source de rejet des personnes LGBTQ+ au sein de plusieurs familles. Les pasteurs, les imams etc. détiennent une place importante dans la vie de leurs adeptes, alors quand ils prêchent la haine envers les personnes LGBTQ+, ceci a une incidence sur la manière dont les parents, les familles, traitent leurs enfants LGBTQ+ une fois qu’ils découvrent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Les enfants sont rejetés, chassés de la famille. Alors nous nous sommes dit qu’il fallait aller vers la source: les personnes qui prêchent ces messages, qui prônent la haine, etc.

Au sein de Jeunialissime, je suis cheffe de projet et je dirige un projet qui s’appelle Talents Pluriels qui a pour but d’autonomiser les jeunes LGBTQ+ en matière d’entrepreneuriat, de recherche d’emplois. Nous travaillons avec des entreprises et des organisations de la place pour les sensibiliser sur l’inclusion et la diversité sexuelle. Jeunialissime travaille également à la sensibilisation et à l’éducation des jeunes LGBTQ+ et de la société en générale sur l’inclusion, la diversité, le respect des droits humains, et œuvre à l’amélioration de la qualité de vie de la personne LGBTQ+.

Comment as-tu atterri à Jeunialissime ?

Quand je faisais mes études, j’ai eu le privilège de pouvoir faire mon coming out, si je peux dire ça comme ça. Ma famille pensait que c’était un caprice alors mes parents ont continué à payer mes études, ce qui m’a permis de terminer mon éducation. C’est par la suite qu’ils se sont rendus compte que ce n’était pas un caprice. Ils voulaient que j’aille plus loin dans les études, alors ils ont quand même continué à payer mes études à Kampala, en Ouganda pour que je développe mon anglais, dans le but que j’aille ensuite au Canada. Cependant, ils sont arrivés à la conclusion que si je partais au Canada, ce serait encore plus grave [faisant référence à sa sexualité, ndlr] donc ils m’ont fait revenir au Congo. C’est à ce moment-là que le rejet a réellement commencé à se faire sentir. Les regards de mes frères et sœurs, les médisances sur moi commençaient à me déranger. Alors j’ai décidé que je n’allais pas les déranger et leur imposer ma personne. C’est comme ça que je suis partie à l’aventure dans une ville ou je ne connaissais personne.

Comme j’avais étudié le droit, j’avais décidé d’utiliser cette opportunité pour tenter ma chance en passant le concours de la magistrature, mais je ne recevais pas de réponses. Alors j’ai commencé à chercher à faire autre chose et je suis rentrée en contact avec une amie qui m’a orienté vers l’association Oasis. C’est comme ça que je suis entrée en contact avec l’activisme pour la première fois. C’est plus tard que Jeunialissime a fait appel à moi. À l’époque, l’organisation n’était pratiquement composée que d’hommes gays et ils avaient besoin d’une personne lesbienne pour certains de leurs projets alors ils ont fait appel à moi.

Pour le concours de magistrature, cela fait trois ans et toujours rien. Ils ont relancé ça récemment et lorsque les candidatures seront ouvertes, j’irai passer le concours. Qui sait, je serais peut-être la première femme ouvertement lesbienne à la magistrature du Congo (rires).

Avec ce parcours, que dirais-tu avoir appris sur toi-même en intégrant l’association Jeunialissime?

Je dirais que je ne savais pas que j’étais si activiste, si je peux dire ça comme ça. Je savais que j’avais horreur de l’injustice mais je ne m’étais jamais rendue compte à quel point. C’est en travaillant dans une association qui m’a permis d’aller à la rencontre de personnes victimes de violence, de beaucoup d’injustice, que j’ai découvert ma haine vis-à- vis de l’injustice.

Travailler au sein de ma communauté m’a également permis de me rendre compte que ma famille biologique n’arrivait pas à répondre à certains de mes besoins. Arriver dans un milieu où il y a des personnes que je peux aujourd’hui appeler ma famille, des personnes qui me ressemblent, a été quelque chose de merveilleux. Apprendre à travailler dans un monde où je me sens épanouie, dans lequel personne ne se soucie des vêtements que je porte ou des personnes que je fréquente, où la seule chose qui importe est le travail que j’apporte dans la communauté, c’est quelque chose qui m’a marqué positivement. Et je peux même dire que les structures LGBTQ+ sont les premières structures à m’avoir donné un vrai travail. Avant ça, j’étais dans l’entrepreneuriat, je me débrouillais dans les petits business mais malgré mes diplômes, je n’arrivais pas à décrocher un emploi. Oasis, House of Rainbow et Jeunialissime sont des structures qui m’ont ouvert leurs portes et m’ont donné une chance de prouver de quoi je suis capable.

Pourrais-tu nous parler un peu plus de comment ton travail au sein des organisations LGBTQ+ a façonné ta conception de la famille ?

Aujourd’hui, ma conception de la famille est loin d’être celle que j’ai eu pendant longtemps. Avant, je pensais que la famille consistait aux personnes avec qui j’avais des liens de sang. Avec le temps, j’ai compris que la famille c’est bien plus que ça. Aujourd’hui, je conçois la famille comme étant les gens qui t’acceptent sans jugement; les personnes qui t’acceptent tel que tu es, qui adhèrent à tes valeurs, qui t’accompagnent à réaliser les choses qui te tiennent à cœur, qui t’accompagnent à militer pour des causes qui te tiennent à cœur. La famille ne te juge pas. Beaucoup pensent qu’être en famille signifie être en compagnie de personnes qui s’identifient comme soi, qui nous ressemblent. Mais j’ai compris que la famille, c’est accepter l’autre inconditionnellement. La personne n’a pas besoin de faire telle ou telle chose pour que je l’accepte. La famille, c’est faire l’effort de comprendre la personne qui est en face de toi, et l’accepter telle qu’elle est, sans conditions.

La communauté LGBTQ+ est cette famille que j’aurais bien voulu avoir quand j’avais 10, 11 ou même 18 ans. Cela m’aurait évité de faire beaucoup d’erreurs et m’aurait aidé à être plus concentrée, ce qui aurait été beaucoup plus avantageux pour moi et pour ma communauté. Grandir en ne comprenant pas vraiment qui j’étais m’a désorienté par moment et me donne parfois le sentiment d’avoir découvert ma famille un peu “tard”, mais maintenant je me rattrape. D’ailleurs, je décrirais mon engagement pour la communauté LGBTQ+ comme étant au point où je serais prête à mourir pour la communauté au même titre que pour ma famille de sang. J’ai déjà été arrêtée, non pas à cause de mon travail activiste, mais parce que mon expression de genre dérangeait certaines personnes.

Aujourd’hui, qui considères-tu comme étant membres de ta famille ?

Tout d’abord, ma famille de sang. C’est celle que l’on ne choisit pas et je suis profondément reconnaissante à leur égard, en particulier, ma grande sœur qui a été d’un grand soutien et qui m’a permis de me défaire de mes complexes.

Ensuite ma partenaire. Elle a commencé l’activisme bien avant moi sans même se rendre compte que ce qu’elle faisait était de l’activisme. Puis elle a arrêté pendant un moment. C’est depuis qu’elle est avec moi qu’elle a repris goût au travail communautaire et elle est déterminée à apprendre et à s’améliorer. Quand il y a des activités communautaires, elle est toujours là. Elle m’accompagne de la manière dont j’ai toujours rêvé d’être accompagnée par une partenaire. Il y a aussi mon chef, mon boss. Je le considère presque comme le papa que je n’ai pas eu, et pourtant il n’est pas si âgé que ça. Il est un chef, un ami, un frère, une figure paternelle, et tellement plus. Et puis, il y a les autres membres de la communauté que je considère comme des frères et sœurs. On se saoule mutuellement, on se dispute, mais on finit toujours par arranger les choses. Mais ma famille number one, c’est ma partenaire.

Et comment envisages-tu la construction d’une famille à toi, avec des enfants par exemple, gardant à l’esprit le fait que la PMA n’est pas nécessairement accessible aux personnes LGBTQ+ au Congo?

Ma famille, je l’envisage d’abord comme étant composée de ma femme et moi. J’aime beaucoup les enfants mais pas au point d’en avoir de moi-même. Je ne m’imagine pas tomber enceinte. C’est quelque chose que je ne conçois pas du tout. Et cela n’a rien avoir avec le fait d’être lesbienne. Je ne m’imagine juste pas traverser tous ces changements avec mon corps juste pour avoir un enfant. Mais si ma femme le désire, je suis ouverte à ce qu’elle porte notre enfant. Je ne la forcerai pas. Si elle veut avoir un enfant et veut le porter ou si elle est ouverte à l’adoption, c’est une possibilité que l’on peut explorer ensemble.

C’est important de savoir qu’il y a très peu de lesbiennes ici qui s’assument à 100%. Même lorsqu’elles sont indépendantes, beaucoup sont convaincues que pour faire un enfant, il faut forcément coucher avec un homme. Et il y a d’autres qui ont tellement peur de leur famille qu’elles ont toujours un mec à côté qu’on appelle en lingala “mufiniko” qui est en quelque sorte une couverture sociale. Donc de nombreuses lesbiennes passent par ce circuit, ont des relations avec des hommes, pour fonder leur famille.

Si je devais fonder ma famille, on le ferait avec un homme gay mais je n’aimerais pas que quelqu’un couche avec ma meuf. Je ne sais pas si vous connaissez ce que l’on appelle les bébés seringues. C’est essentiellement l’insémination artificielle. Donc si on n’a pas d’argent pour aller à l’étranger et concevoir notre enfant, on fera nos petits “bébés seringues”. Et bien entendu, si l’homme gay en question veut faire partie de la vie de l’enfant, c’est envisageable. Il pourra être présent en tant que tonton, ou même en tant que père s’il le désire, mais ce sera notre enfant à nous, à ma femme et moi. On ne lui demandera rien en retour. Et ce sont des conversations qui auront lieu au préalable.

Photo credits: Ruth Lu

Si tu pouvais choisir quatre personnes pour faire partie de ta famille dans ta prochaine vie, qui choisirais-tu et pourquoi?

La première personne serait mon papa parce qu’il est parti très tôt, et j’ai toujours été convaincue que s’il était là, il m’aurait compris et m’aurait peut-être mieux orientée. Je pense qu’il m’aurait accepté et aurait permis que je sois acceptée dans la famille.

La deuxième personne serait ma maman parce qu’elle est géniale. Elle ne m’a pas rejetée quand elle a découvert mon homosexualité. Je suis de tribu swahili, et chez nous, venir dire à un parent “maman, j’aime les femmes” c’est impensable. C’est vouloir sa mort en quelque sorte. Et pourtant je l’ai fait. Ma famille savait déjà que j’étais une personne à fort caractère et lorsque j’ai fait mon coming out, ma maman m’a répondu “oui, je savais. J’avais peur pour toi parce que je sais que les choses ne seront pas faciles dehors”. Venant d’une femme qui n’a pas fait de longues études, c’était fort pour moi.

La troisième personne…hmmm, bien que j’aie été rejetée par ma famille, il y a quand même des personnes que j’aime bien et que j’aimerai revoir dans ma prochaine vie (rires). Mais bon, disons que la troisième serait une ex. Mais c’est une ex qui m’a vraiment permis de découvrir toute la beauté d’être avec une femme.

Et enfin, la quatrième personne que je choisirais serait ma femme!